Elections municipales à Trappes : quand l’islamophobie s’érige en thème de campagne

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L’analyse des rendez-vous démocratiques des 23 et 30 mars va-t-elle marquer un tournant en terme de comportement électoral ? En consultant de près la cartographie des listes conduites par des candidats dits de la diversité et marqués par une identité musulmane assumée, on relève qu’à Trappes, un pas est désormais franchi. La lutte contre l’islamophobie y constitue désormais une valeur politique invitée par les urnes. Un tournant dans le rapport à l’acceptabilité de l’islam comme religion de France avec la démocratie participative.

Faisons entendre notre voix

A consulter le programme d’un collectif d’habitants de la ville ayant été récemment sous les projecteurs, on pourrait s’attendre à un document de type communautaire ou même communautariste traitant de l’islamophobie. Loin s’en faut, un rappel historique de la main d’œuvre immigrée constituée par les aînés officie comme ancrage à ce que leurs enfants héritiers considèrent, en tant que nouveaux français, comme un amorçage : le rejet de l’islam. Discriminations d’hier, discriminations d’aujourd’hui.

La liste intitulée Faisons entendre notre voix conduite par Slimane Bousanna, ingénieur diplômé de Centrale et fondateur du premier collège privé musulman des Yvelines, s’inscrit dans un continuum, et entend prendre comme constat d’engagement politique, outre la situation de chômage et de précarité, la vertigineuse augmentation de 57,4 % de hausse des actes d’islamophobie de 2011 à 2012 au niveau national. Selon la tête de liste, « il est urgent de réagir et de s’engager dans le débat public ». Une tentative de mettre fin à l’abstention, caractéristique des quartiers populaires.

Ingénieur, co-fondateur de la mosquée, président du collège musulman, candidat aux élections

On pourrait aisément présager le type de profil de personne s’engageant politiquement autour de la thématique de l’islamophobie tels les acteurs associatifs de la première heure issus du CRI (coordination contre le racisme et l’islamophobie) ou CCIF (collectif contre l’islamophobie en France). A Trappes, la donne inaugure un virage nouveau. Le parcours personnel de Slimane Bousanna l’explique. Loin des moteurs de la lutte militante permanente, il compte à son action un moment que les Trappistes ne sont pas prêts d’oublier. Au moment de la précédente alternance de couleur politique, le jeune ingénieur veut mettre un terme à l’islam des caves. Les fidèles prient dans un lieu indigne : le rez-de-chaussée et le sous-sol d’un HLM. Slimane Bousanna est expert en conception et en pilotage de projets d’urbanisme (GPV, grand projet pour la ville et ANRU, agence nationale pour la rénovation urbaine) pour la ville de Trappes au sein de laquelle il exerce pendant dix années, de 2001 à 2010.

Fédérateur auprès de ses concitoyens musulmans, il milite avec eux pour la construction d’un lieu de culte digne, moderne et visible, faisant partie de l’identité de la ville. Refus de la municipalité. L’engagement citoyen et les manifestations devant la mairie ont eu raison de l’entorse à la liberté de culte. Permis accordé, mosquée érigée.

En 2009, le constat d’échec des enfants de Trappes, attestés par des mécanismes de discriminations décrits par de nombreuses enquêtes de sociologues de terrain, amène le co-fondateur de la mosquée à prendre en charge cette fois un projet d’instruction publique, sur le modèle des diocèses catholiques en partenariat avec l’Etat. Slimane Bousanna coordonne l’ouverture de l’IFSQY (institut de formation de Saint-Quentin en Yvelines) un établissement qui conjugue excellence scolaire et valeurs éducatives. Pour l’implantation du collège, la ville de Montigny-le-Bretonneux, commune riche et centrale de l’agglomération, est préférée à Trappes afin d’éviter le risque d’un enfermement de l’établissement et des élèves. Le succès de l’entreprise est certes semé d’embûches administratives. Des familles de province déménagent pour inscrire leurs enfants au collège musulman de Trappes : la voie de la participation citoyenne s’avère contributive pour le renforcement du pacte républicain. Les échéances électorales ouvrent la porte à la défense des droits, à la promotion des devoirs et à la célébration de la dignité de chacun.

Trappes : laboratoire expérimental d’un vote musulman sociologique

Le vote musulman politique n’existe pas. Du moins pas encore. Les français musulmans n’ont pas de culture politique fondée sur la défense de valeurs autour de l’échiquier politique. On ne peut caractériser en 2014 un comportement électoral musulman de droite ou de gauche, à l’aune des valeurs de libéralisme ou de solidarité. S’affranchir des traditions héritées par l’histoire des aînés prends du temps. Et les chiffres de 90 % des votes dans un sens comme dans un autre sont révélateurs d’une inculture politique de fond. Il faudra probablement attendre une ou deux nouvelles générations pour voir un Karim et une Fatoumata débattre sur des valeurs de conviction réelles.

Les candidats issus de la diversité à Trappes sont bien présents. Aucun d’entre eux ne parle ouvertement d’islamophobie dans son programme. On peut aisément expliquer cela par une certaine frilosité à l’égard des potentielles assignations au communautarisme qu’il est systématique de subir dès lors qu’on invite la question musulmane dans l’espace public. Compréhensible. Slimane Bousanna dit « respecter cette posture doctrinale » chez les professionnels de la politique. D’ailleurs, on s’étonne que sa profession de foi ne mentionne pas, comme à l’usage de l’exercice électoral, les noms de ses colistiers. L’intéressé donne une réponse sans équivoque en insistant sur la ligne directrice première de son programme qui consiste avant tout à « revenir à une laïcité apaisée et respectueuse des croyances et pratiques de chacun ».

Si le vote musulman politique n’existe pas encore, l’expérience de Trappes en mars prochain inaugurera, peut-être, en fonction des scores du premier tour, l’émergence d’un vote musulman « sociologique » dont la posture serait mesurée à l’épreuve de la vie sociale que subissent des citoyens frappés par l’islamophobie. A l’instar des questions culturelles, écologiques ou économiques, devenus des enjeux nationaux après être nées localement, la question sociale du mal être des citoyens de la deuxième religion de France pourrait s’initier en nouveau comportement électoral. Par le biais du concept d’islamophobie, qui constituerait, pour la première fois, un thème de campagne principal.

Adresse internet de la liste : www.faisonsentendrenotrevoix.fr

Par Mohamed-Ali Bouharb
Diplômé de Sciences Po Paris, doctorant en science politique à l’école normale supérieure de Cachan.

By Younes

9 thoughts on “Elections municipales à Trappes : quand l’islamophobie s’érige en thème de campagne”
  1. Salam aleykoum,
    il faut surprendre la sphère politique en rentrant dans la danse !
    Un bulletin de vote est plus fort qu’une balle de fusil. Lincoln
    Je vous souhaite bonne campagne
    Bon succès
    Qu’Allah vous facilite !

  2. Salam Aleikoum ! Article très intéressant et bonne continuation au candidat … Par contre GPV = Grand Projet de Ville 🙂 …

  3. Ingénieur, co-fondateur de la mosquée, président du collège musulman, candidat aux élections.
    Votons pour cet homme intègre et le changement.
    Réveillons nous musulmans.
    amine……

  4. Le communautarisme des musulmans augmente au même rythme que leur poids démographique dans la société française et ce constat n’est guère réjouissant pour l’avenir de notre vieille Nation…

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