L’université King’s College de Londres a annoncé qu’elle prenait au sérieux les plaintes selon lesquelles l’un de ses professeurs, Peter Neumann, aurait cherché à « intimider et harceler » le Pr. Tarek Younis en le sommant de condamner une attaque terroriste en France. L’université a annoncé qu’elle ouvrirait une enquête prochainement.
Cette annonce fait suite à la publication d’une lettre ouverte signée par des universitaires, des chercheurs et des militants accusant le professeur Peter Neumann, directeur du Centre international d’étude de la radicalisation de l’université, de chercher à «intimider et harceler» le Dr Tarek Younis, professeur junior en psychologie à l’université de Middlesex, dans une série d’échanges Twitter.
Intérrogé par Middle East Eye, un porte-parole du King’s College de Londres a déclaré : « Nous sommes au courant d’une plainte concernant la conduite d’un membre de notre personnel. Nous ne tolérons aucun comportement inapproprié ou abusif ».
L’enquête intervient après que le Pr. Younis ait engagé un débat d’idée avec le Pr. Neumann sur Twitter le 24 octobre suite à un post de ce dernier concernant les attentats en France.
Dans ce post il parlait d’implosion de la société française et de son lien avec le terrorisme. Le Pr. Younis a réagi à ce tweet en lui demandant : « Pour être clair, est-ce que vous dites que la société française implose à cause du terrorisme? »
S’est ensuite engagé un échange entre les deux professeurs avec un dernier post de Tarek Younis où il lui a demandé est-ce que le rôle de l’État français dans l’implosion de la société française était-il ou non plus grand que celui du terrorisme. Au lieu de répondre à ses arguments et questions de manière conventionnelle pour le monde académique, le Pr. Neumann a répondu :
« Rien ne justifie de tuer des innocents. J’espère que nous pouvons au moins être d’accord là-dessus. Ou non? ».
Un internaute a participé à la discussion en interpellant le Pr. Neumann :
« Avec tout le respect que je vous dois, rien de ce que Tarek a dit n’implique que tuer des innocents est justifié. Il se demande qui des médias et de la classe politique français ou des loups solitaires terroristes ont un plus grand impact sur l’exacerbation des divisions dans la société française. ».
Silencieux pendant un moment, le Pr. Younis a fini par lui répondre : « Je ne peux tout simplement pas comprendre comment la remise en question de votre affirmation, « l’implosion de la France est causée par le terrorisme », me conduit à être invité à accepter que des innocents ne devraient pas être tués. » et a conclu dans un fil de discussion séparé :
« Je refuse absolument de condamner le terrorisme à l’improviste, surtout pas comme une porte sacrée dans des discussions intellectuelles. Si les gens ne peuvent pas comprendre l’islamophobie dans cette interaction avec Neumann, c’est une réalité inquiétante ».
L’histoire aurait pu s’arrêter là.
Mais deux semaines plus tard, une attaque au couteau a lieu à Nice et le Pr. Neumann interpelle de nouveau publiquement le Pr. Younis sur Twitter tout en taguant son employeur, l’Université de Middlesex : « J’aimerais partager votre point de vue sur les événements d’hier, Tarek ».
Ce à quoi le Pr. Younis a répondu :
« Pourquoi taguez-vous mon employeur ? ».
Neumann a ensuite réagi en continuant d’exiger une réponse du Pr. Younis.
Le Pr. Younis s’est de son côté exprimé : « Il s’agit clairement d’intimidation, étant donné que la peur était son attente spontanée. Mais étant donné qu’il s’agit d’un professeur de lutte contre le terrorisme qui m’interroge (un musulman) sur une attaque terroriste en taguant mon employeur, il ne s’agit pas «simplement» d’invective. En fait, c’est une menace assez ouverte et insensible concernant le fait que je sois employé. »
Tout cela a conduit à la rédaction collective d’une lettre ouverte à l’université employant le Pr. Neumann et qui lui demande d’enquêter concernant ses propos sur Twitter. Cette lettre a été signée par une centaine d’universitaire de tout horizon et a été retentissante dans le monde académique anglophone.
« Nous estimons que les actions du membre de votre staff sont répréhensibles d’un point de vue éthique et moral. Il a utilisé sa position pour intimider et harceler un jeune universitaire d’une autre université » ont-ils notamment affirmé.
Amani Hassani, ethnographe urbain à l’Université de Keele, a contribué au lancement de la lettre ouverte et a déploré que cet épisode rappelle malheureusement ce que subissent de nombreux universitaires musulmans :
« Cet incident a résonné chez beaucoup d’entre nous parce que nous avons nous-mêmes expérimenté ce type de comportement sur nos lieux de travail et dans nos milieux académiques, où nous avons des ennuis ou sommes interrogés sur notre « loyauté » si nous ne suivons pas une ligne particulière de discours ».
Le professeur Peter Neumann de son côté a nié l’accusation selon laquelle il aurait intimidé le Dr Tarek Younis, parce que musulman, sur Twitter mais s’est excusé du « ton » qu’il a utilisé lors des échanges et a supprimé ses tweets.
Les lecteurs anglophones peuvent également retrouver les tweet en question sur ce lien.