Témoignage de Nabil Ennasri en Syrie : « J’ai vraiment été impressionné par la capacité de ce peuple à surmonter sa misérable condition »

AJIB.fr a eu l’opportunité d’échanger avec Nabil Ennasri au retour de son séjour en Syrie, début décembre. Dénuement, désolation, mais aussi force spirituelle, rage de vaincre, sont les mots qui viennent à l’esprit du jeune doctorant après avoir été à la rencontre des syriens, un peuple meurtri par une guerre qui semble sans fin. Un témoignage à lire et à diffuser si vous voulez avoir des nouvelles fraîches de ce peuple qui lutte, et sensibiliser votre entourage sur une guerre dévastatrice.

Il y a quelques jours, vous êtes rentré en Syrie alors ravagé par une guerre civile qui dure depuis mars 2011. Dans quel cadre vous êtes vous rendu dans ce pays en guerre ? 

Je suis effectivement entré en Syrie le mardi 3 décembre dernier. Mon voyage de solidarité a été organisé avec le concours de l’association « Ligue humanitaire pour une Syrie libre » (www.pourunesyrielibre.com/). Mon but était de voir ce qui se passait sur place afin de revenir en France et témoigner. Malheureusement, le mouvement de solidarité avec le peuple syrien est transparent dans notre pays. Au delà de la société en général, c’est le manque cruel d’attention de la communauté musulmane qui m’a poussé à faire ce voyage dans l’optique de revenir afin d’apporter ma modeste contribution à une meilleure sensibilisation.

J’ai passé toute une journée dans le camp de réfugies de Atmé, situé à l’intérieur du territoire syrien et à quelques kilomètres de la Turquie. Ce qui frappe de premier abord, c’est le dénuement total. Les réfugiés qui ont tout perdu s’entassent dans des tentes et souffrent de multiples privations : la faim, le froid, l’accès quasiment impossible à des sanitaires décents ou à des infrastructures dignes de ce nom (comme des écoles, des routes, des dispensaires etc). Je suis arrivé alors que la température était déjà fraîche (moins de 10 degrés). Ce que redoutait pas mal de monde c’est la dureté de l’hiver. J’imagine effectivement la souffrance de ces gens qui vont devoir affronter un intermède hivernal particulièrement rigoureux dans cette région. D’ailleurs, cette semaine, une tempête de neige a balayé le Liban. 800 000 réfugiés syriens souffrent terriblement de cet épisode glacial. Il y a quelques jours, deux enfants sont morts de froid dans le camp de réfugiés de Ersal.

Comme je le soulignais, c’est le dénuement et la désolation. En plus d’avoir perdu des membres de leur famille, ces milliers de gens sont bloqués dans des camps où ils manquent de tout. Mais au delà de ces considérations, j’ai aussi été frappé par la force spirituelle qui se dégageait de nombreuses personnes. La plupart pour ne pas dire tous gardaient la foi en un jour meilleur. Tous avaient cette formule « nachkourouLah », à savoir « nous remercions Dieu ». J’ai vraiment été impressionné par la capacité de ce peuple à surmonter sa misérable condition, par cette rage de vaincre mais également par cet agrément du décret divin. De même, j’ai remarqué aussi cette volonté de rester attacher à l’esprit de la révolution qui a animé leur soulèvement. Personne ne regrette ce régime despotique, sectaire et sanguinaire qui les a maintenu pendant des décennies dans un état d’asservissement qu’ils ne veulent plus subir.

Il y a effectivement autour de la Syrie beaucoup d’enjeux et si vous me le permettez j’aimerais évoquer non pas l’instrumentalisation du conflit proprement dit mais la récupération de la cause palestinienne au miroir de cette crise.

Pendant longtemps, beaucoup ont cru que la Syrie comme l’Iran et le Hezbollah faisaient partie de ce que l’on appelle « L’axe de la résistance » ou « Le front du refus ». Si cette conception pouvait de baser sur quelques faits (la virulence verbale du régime Assadien face à Israël, l’accueil pendant quelques années du Hamas à Damas, le soutien militaire au Hezbollah etc), il n’en demeurait pas moins que le clan Assad instrumentalisait la cause palestinienne plus qu’il ne la servait. J’en veux pour preuve plusieurs éléments factuels.

Depuis 1973 et la fin de la guerre du Kippour, pas une balle de l’armée syrienne n’a été dirigée contre le territoire israélien. Pire, tous les groupes de fedayins palestiniens qui voulaient s’approcher de la frontière pour croiser le fer contre Tsahal était durement réprimée par les forces de sécurité du régime. La Syrie d’Assad jouait ainsi le rôle de contrôleur utile de la frontière nord pour l’Etat hébreu ce qui a fait dire au journal Ha’aretz qu’Assad était le « dictateur préféré d’Israël« . De même, le chercheur Karim Emile Bitar relève très justement que « dans ses Mémoires, Ariel Sharon disait ouvertement qu’il préférait le pouvoir baassiste à celui des Frères musulmans syriens. » Il faut aussi revenir un peu au passé.
En 1975 lorsque la Syrie entre militairement au Liban, l’une des premières choses qu’elle fait c’est qu’elle encercle des milliers de combattants palestiniens dans le camp de de Tal al Ze’tar. Plusieurs milliers de combattants sont ainsi éliminés par le dictateur d’Assad qui n’hésitera pas à mater la résistance palestinienne en particulier celle de l’OLP de Yasser Arafat qu’il considère comme un rival dangereux et gênant.
De même, voyons quelle est aujourd’hui la posture des factions palestiniennes à l’égard de la révolte syrienne. Le Hamas tout comme le grand résistant palestinien Cheikh Raed Salah soutiennent la révolution du peuple syrien. Ils savent pertinemment que le régime d’Assad est prêt au pire pour se maintenir au pouvoir et ils refusent catégoriquement que ce dernier utilise la cause palestinienne pour rehausser son image auprès de l’opinion arabe.
Malheureusement, la fumisterie qui consiste à croire que le régime d’Assad fait partie de l’axe de la résistance est héritée d’un clivage anti-impérialiste qui a la vie dure et qui pollue l’esprit de nombreux musulmans de France. Si vous ajoutez à cela, la machine de désinformation de l’armée électronique de Bashar Al Assad qui fonctionne à plein régime et qui a de nombreux relais en France, vous avez tous les ingrédients pour jeter sur la crise syrienne un voile de la suspicion qui malheureusement empêche un réel mouvement de solidarité à prendre forme.

Il y a plusieurs choses à faire. D’abord, en tant que musulmans, n’oublions jamais la force des invocations. Il est aussi utile de rappeler l’importance du Sham (cette région qui regroupe la Syrie, la Jordanie, la Palestine et le Liban) aux yeux de nos sources islamiques. Je citerai un hadith parmi beaucoup d’autres traditions prophétiques relatif à cette région ; celui dans lequel le Prophète demande : « Sais-tu ce qu’Allah dit du Sham ? Certes, Allah dit : « Ô Sham, tu es la meilleure de mes terres et tu es habité par les meilleurs de mes créatures. » (Tabarani). C’est un aspect essentiel que de revenir à ses fondamentaux car un musulman ne peur rester silencieux face au massacre d’une population et du viol d’une terre que de nombreux ahadiths considèrent comme sacré.

Sur un plan plus global, il faut renforcer la sensibilisation sur cette crise. Apporter une grille de lecture opérante sur le conflit qui soit loin du conspirationnisme mais qui également ne fasse pas fi des instrumentalisations que nous soulignions plus haut. A ce propos, je recommande à vos lecteurs un ouvrage très documenté qui vient de sortir « Pas de printemps pour la Syrie » écrit sous la direction du professeur François Burgat et publié aux éditions La découverte. De même, il faut se rapprocher d’associations humanitaires qui font un excellent travail sur le terrain. Je pense à l’association Pour une Syrie libre (http://www.pourunesyrielibre.com/) ou Syrien Friends Paris (http://syriansfriendsparis.com/)  qui agissent soit directement en Syrie (envoie de dons, colis alimentaires, matériel médical) soit dans les camps de réfugiés en Turquie, Jordanie ou Liban. Bref, il y a vraiment de quoi faire. A charge pour la communauté de prendre la mesure de sa responsabilité et de ne pas rester cantonné dans un confort qui lui fait oublier le sens des priorités.

Nabil Ennasri, Doctorant,
www.observatoire-qatar.com
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