En ces jours de commémoration de la Nakba, nous partageons avec vous le témoignage de notre sœur Lila, pour qui la tentative en 2012 d’entrer en territoire Palestinien occupé durant la Marche de Jérusalem s’est mal terminée. Cette marche est l’occasion pour les militants pro-palestiniens à travers le monde de se réunir pacifiquement et de dénoncer la politique israélienne.
« En mars 2012, j’ai décidé d’aller en Palestine.
Pour donner un vrai sens à mes engagements, pour me ressourcer à Jérusalem, pour rencontrer mes frères et sœurs à travers tout le territoire occupé, et surtout pour témoigner. Effectivement, il est plus que facile de s’informer sur la question palestinienne, et avec un peu d’objectivité et de bonne foi, s’indigner. Nous écrivons alors sur facebook, nous partageons des informations. Pour les plus motivés d’entre nous, nous récoltons de l’argent et organisons des évènements en rapport.
Mais pour bon nombre d’entre nous, ce n’est plus suffisant. J’ai ressenti le besoin d’aller voir de mes propres yeux, d’aller vivre cette légendaire agressivité, cette violence, cette paranoïa, ce système d’apartheid que les palestiniens vivent au quotidien. Tant de sentiments négatifs, sur des terres pourtant sacrées.
Je suis donc partie le 25/03/12 à Tel Aviv, avec la compagnie Easyjet, depuis l’aéroport de Genève. Le vol fut correct, hormis quelques regards surpris, hostiles ou méfiants de juifs israéliens (comme c’est étrange, une musulmane qui veut aller chez « nous », on en avait presque oublié qu’il n’y avait pas que nous qui étions attachés à cette terre). Après tout, j’étais la seule musulmane du vol, voilée qui plus est !
J’arrivais l’esprit tranquille à l’aéroport, à 11h du matin, loin de me douter que la situation allait bientôt tourner au désastre. Je fais la queue, comme tout le monde, quand l’agent du guichet me fait remarquer une irrégularité sur mon passeport. Une femme vient alors me chercher, l’air incroyablement agacé et hurlant sur tout le monde. Je patiente dès lors dans une petite pièce aux murs nus, sur son ordre, durant une trentaine de minutes. La jeune femme qui me reçoit est enceinte, hurle elle aussi (décidément…) au téléphone en hébreu, et m’observe à peu près comme si j’étais une bouse de vache. Le ton est donné.
L’expérience du premier interrogatoire, qu’on oublie rarement. La femme me pose les mêmes questions à plusieurs reprises « pourquoi suis-je ici ? Avec qui ? Comment ? », me coupe la parole pour parler au téléphone ou à sa collègue, me balance presque mon passeport au visage en hurlant « vous ne pourrez pas rentrer, vous verrez ».
L’entretien est fini, au suivant, je dois de nouveau attendre 45minutes environ. Quelques personnes m’entourent, toutes plus anxieuses les unes que les autres. Je commence à réfléchir, la tension monte, et l’angoisse suit. Une deuxième femme remplace alors la précédente, dans le même bureau, et m’appelle. Cette fois-ci, l’interrogatoire a des formes d’entretien poli, elle est douce et semble compréhensive, je me sens apaisée et je sens la confiance me gagner à nouveau. Mêmes questions.
Elle m’entraîne alors dans un espèce de hall d’attente, où la majorité des individus sont arabes, sans compter quelques européens. Je suis immédiatement prise en charge par une jeune femme (mon âge ?! Il semblerait…) qui m’appelle à son bureau. Ici, l’interrogatoire reste cordial mais plus poussé. On me demande pour quelle raison je suis musulmane pratiquante, pourquoi je suis voilée, si je vais à la mosquée, si j’observe dans cette mosquée des évènements tels que des collectes de fonds pour la Palestine, qui sont mes parents et des détails sur leur vie, quelles sont mes lectures, et j’en passe. Bien que je sente la colère monter (en effet quels droits ont-ils de me demander tout ça) je reste calme et me soumet avec résignation. Elle prend des notes en hébreu, tout du long.
Je dois ensuite attendre de nouveau dans ce hall, il est déjà plus de 13h. Je pense avec angoisse aux amies qui m’attendent de l’autre côté, dans l’aéroport, et qui à ce moment doivent comprendre que les choses tournent mal pour moi. Le temps s’étire, pas de possibilité de manger quelque chose, la seule boisson disponible à l’achat, du Coca-Cola que je déteste. Les voyageurs qui attendent comme moi commencent à discuter entre eux mais sont méfiants, en effet un israélien en civil attend toujours à nos côtés, sans aucun doute pour essayer de glaner quelques informations.
Je finis par être appelée dans le bureau d’un jeune homme a l’air intelligent et sournois, qui me regarde semblant dire « à moi, tu ne vas pas me la faire ». L’interrogatoire reprend, mêmes questions encore et toujours, mais cette fois l’homme exige de voir le contenu de mon adresse e-mail. Prévenue de leurs méthodes (bien que le vivre maintenant était autrement plus difficile), j’avais bien sur créer une adresse e-mail bidon, la mienne regorgeant d’infos sur l’actualité palestinienne, ect. Frustré, il demandait à voir les livres touristiques que je détenais sur Jérusalem. Un deuxième homme, en uniforme et l’air vraiment impressionnant, s’invite dans le bureau et observe les livres avec lui. Pensaient-ils peut-être que j’avais laissé quelques annotations sur les pages, comme « ne pas oublier de faire exploser cet endroit » ou « tuer un maximum de gens ici » ? Je m’empêchais de sourire malgré la tension du moment, tant toute cette procédure était ridicule au vu de mes intentions tout à fait honnêtes. Puis vint la question qui tue : « Comptez-vous vous rendre dans les territoires palestiniens? ». Sentant la sentence, j’avais décidé depuis longtemps de ne pas jouer la carte de la sincérité totale. Je jouais donc la naïve, leur disant que pas du tout, je comptais simplement rester à Jérusalem et visiter quelques villes saintes aux alentours. Ils échangeaient entre eux des propos en hébreu, le but étant que je me demande ce qu’ils pouvaient bien dire, ce qu’ils pouvaient bien savoir que je ne savais pas. Je suis congédiée du bureau, pour le moment…
Les heures se déroulent, toujours plus lentement… L’angoisse est à son maximum pour le moment, je me demande clairement quelle sera la conclusion de cette journée et je pense à mes parents qui, sans doute alertés, n’ont toujours aucune nouvelle de moi. Nous sommes maintenant en fin d’après-midi, je n’ai pas de portable pour appeler qui que ce soit, d’ailleurs j’ai peur de le faire en leur présence car j’ai spécifié ne pas connaître grand monde sur place.
De nouveau, un interrogatoire avec le même jeune homme, pour les mêmes questions, qui ne sembleront jamais s’arrêter. Le but ? Que je craque. Que j’avoue tous les crimes abominables que je m’apprête à commettre dans leur sacro-sainte démocratie. Sauf que je ne change pas de version, malgré la fatigue, et que ça énerve franchement le bonhomme. Il finit par me dire, clairement, « je ne vous crois pas. Je ne sais pas ce que vous cachez, mais je finirais par le découvrir ».
Me revoilà dans le hall. Je m’isole, sentant que le moment de relâcher la pression est venu. Je commence à pleurer dans mes mains, déçue de moi-même, me pensant plus forte. La fatigue, la rage, la frustration face à l’injustice, tout ça sort et coule le long de mes doigts. Des palestiniens commencent alors à m’entourer, et à me réconforter. Un homme me dit « Je sais à quel point c’est difficile, leur but est de vous traumatiser, vous dégouter à jamais, que vous ne reveniez jamais ici. Même si tout s’était bien passé et qu’ils n’avaient aucun doute sur vous, ils vous auraient fait attendre 2 ou 3h pour la forme, parce que vous êtes arabe, et qu’ils veulent que votre vie soit misérable. Ne cédez surtout pas. ». Et il alla m’acheter à boire.
Le jeune homme qui m’avait interrogée deux fois de suite passe alors devant moi, les yeux rougis et me dit en anglais « Pourquoi tu pleures ? Espèce de gamine ».
Je décide alors d’emprunter le portable de mon compatriote palestinien, et j’appelle une de mes amies qui m’attendais de l’autre côté. Je lui explique brièvement la situation et lui demande de prévenir au moins un de mes parents si elle le peut, les rassurer. Impuissance.
Il est alors plus de 18h, un membre du personnel, prit de pitié, m’apporte à boire et un sandwich que je ne toucherais pas tant j’ai la gorge nouée. Bingo : on me convoque pour m’annoncer qu’on ne me laissera finalement pas passer, les soupçons étant trop forts. Au même moment, l’ambassadeur français de Tel Aviv appelle pour moi, alerté par mes amis. Il m’annonce alors : « Pour le problème avec le passeport, il peut être réglé en trente minutes, pour une minuscule somme d’argent, je peux même me déplacer. Mais le problème n’est pas du tout là. Je ne sais pas pourquoi ne vous connaissant pas, mais ils ne vous aiment pas et ne veulent pas vous laisser passer. Leurs lois sont faites de telle sorte qu’ils n’ont pas à se justifier quoi qu’ils fassent, et qu’ils ont tout pouvoir. Je ne peux rien pour vous, mais vous pouvez toujours m’appeler en cas de… problème ».
Dès l’annonce du refus de me laisser entrer, on m’isole désormais du hall et on empêche les gens avec qui j’avais sympathisé de me parler. Je me sens bien sur seule et désœuvrée face à un processus qui me dépasse malheureusement. Je n’ai jamais revu ces personnes qui m’ont beaucoup aidée sur le moment.
Je change maintenant de décor, je suis escortée par une israélienne de mon âge, blonde décolorée genre gossip, agacée que je la regarde avec dédain. Arrivée dans une autre partie désertée de l’aéroport, les masques tombent. Le jeune homme qui m’avait interrogée deux fois revient et m’annonce que si j’essaie à nouveau d’entrer en israël, il y a de fortes chances qu’on ne me laisse pas entrer. Je crois qu’il me connait bien mal. Ils plaisantent ensuite entre eux, en hébreu, comme des enfants, car c’est ce qu’ils sont. La majorité des agents auxquels j’ai été confrontée avaient mon âge ou pas beaucoup plus, il était incroyable de voir à quel point ils étaient déjà insensibilisés et complètement inconscients de ce qu’ils faisaient.
S’ensuit alors une fouille hyper détaillée de mes bagages, du moindre objet, du moindre vêtement. Pendant qu’ils cherchent quelque chose (quoi, d’ailleurs? ), j’ai droit à deux autres interrogatoires dont un en français, avec les mêmes questions, par des agents complètement blasés, genre « allez un de plus pour la route », qui prennent plaisir à me tourner en ridicule (apparemment, c’est tellement comique d’être musulmane).
Un individu arrive, dans la même situation que moi. On fouille ses bagages à son tour. J’apprendrais qu’il est originaire du Canada, et qu’il était venu pour participer à la marche de Jérusalem avec du matériel de caméras (ironie, je n’avais pas du tout l’idée de participer à cette marche). Une femme me déshabille ensuite intégralement dans une petite cabine dont le rideau est à peine fermé, de manière très détaillée et longue, c’est l’humiliation supplémentaire mais plus rien ne m’étonne. Avant de partir, le jeune homme sadique se lâche : « êtes-vous une terroriste ? Êtes-vous en contact avec des terroristes? ». L’air méprisant, je lui réponds que non…
Conclusion du moment : une dizaine d’heures d’attente, une dizaine d’interrogatoires.
Il est plus de 20h, on nous annonce finalement qu’en attendant nos avions de retour, nous irons en prison. Plaisantant, un des agents nous dit « un bel hôtel vous attend ». Effectivement. Nous prenons donc une sorte de mini-bus aux vitres teintées, et un type se fait un malin plaisir à nous faire une petite visite guidée : « à votre droite, blablabla, à votre gauche, blablabla ». Je le coupe et lui demande en anglais : « Quel besoin avez-vous d’être cruel ? ». Il se tait.
Nous arrivons donc presque immédiatement à la prison, on confisque mes bagages, je suis conduite à une sorte de dortoir où une femme est déjà emprisonnée. La lumière est crue, on ne peut presque pas ouvrir les fenêtres qui ont de toute façon des barreaux, l’odeur est mauvaise, on ne peut pas fermer la porte des toilettes, la douche est inutilisable tant elle est sale (de toute façon, nous n’avons pas d’habits de rechange) et les lits sont sommaires, sortes de planches en bois avec un mince matelas de mousse. Pas d’oreiller bien sur. On me donne une barquette de nourriture froide immonde et on ferme la porte, qui ne s’ouvre que de l’extérieur. J’apprends que ma voisine est d’origine russe, et qu’elle est ici depuis une semaine, tentant de ne pas devenir folle. Inquiète pour mes parents, folle de rage d’être ici, j’attends que la femme dorme pour aller dans les toilettes, glisser mon nez par la fente de la fenêtre, et tenter de sentir l’air de cette terre spoliée, meurtrie. C’était donc vrai, l’air ici est spécial. Une amie m’a dit, « tu sentiras le sang versé des musulmans ». Je ne sais pas si c’est ce que je sens, mais je sens que je ne suis pas n’importe où. Je pleure un long moment et je regarde le ciel, très beau, avant d’aller essayer de dormir (chose difficile, les lumières étant toujours allumées). Sur les murs, des messages du monde entier que des gens de passage ont écrit : « n’abandonnes pas », « Palestine vaincra »…
Le lendemain matin, deux autres jeunes filles arrivent, une roumaine et une ukrainienne. Nous avons la permission de sortir, escortées, dans la cour grillagée et murée, afin de nous asseoir sur un banc et enfin respirer de l’air frais. Nous discutons en anglais, apprenons à nous connaître, partageons du chocolat qu’ils ont bien voulu nous donner (miracle! ) et même, rions (surtout lorsque l’une d’elles se lève et nous fait une petite danse). Un des gardes vient faire la discussion avec nous, amical en apparence, mais je ne peux m’empêcher de me méfier, même lorsqu’il me parle en arabe.
La journée passe. Le moment pour moi est venu de partir, mon avion pour Genève est à 17h50. Le fait de quitter mes voisines me fait mal car dans l’adversité on noue des liens véritables. Elles me donnent leurs adresses que je cache, et l’une d’elle me donne sa bague, afin que je ne l’oublie pas.
Je suis donc escortée jusqu’à l’avion lui-même, sur la piste (dans le cas peu probable où je souhaiterais tenter de m’enfuir en hurlant, sous le nez des gardes armés). Un des agents me demande s’il peut goûter mon chocolat suisse, que j’avais acheté pour mes amies. Je lui offre la boîte, sous les yeux ébahis de ses collègues, et lui dit « Je vous l’offre car ma religion me dicte la générosité, et notre Prophète avait lui-même de la miséricorde pour ceux qui l’oppressaient » (pensant au jour où Muhammed, salallahu aleihi wa salam, qui s’était fait lapidé par les habitants d’une cité, avait demandé le pardon pour eux plutôt qu’un châtiment)…
A plus de 22h, me voilà de retour à Genève, épuisée mais déterminée. Durant le trajet, j’ai fait connaissance avec un juif d’origine iranienne, choqué par mon récit, et de ses propres mots : « Comment faire avec un tel gouvernement pour ne pas être haïs du monde entier? ».
Trois jours plus tard, je repartais en Jordanie. »
La suite à venir !
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Machallah quel beau récit et qu’elle mauvaise expérience 🙁 comme un savant disait ils sont les oppresseurs et les victimes, victimes car c’est la haine qui les consume de l’intérieur !
Salamou 3aleykoum très beau récit machaa Allah ma soeur! Ca donne envie de tester ils le méritent bien!
Salam Alaykoum ! Un très beau récit que j’ai fortement apprécié ! Cela m’a encore plus motivé de me rendre en Palestine .. même si je pense être rapidement expulsé
Salemou alaykom. je félicite cette soeur par son courage et sa détermination. machallah
ton récit m’as fait pleuré surtout les mots laisser palestine vaincra, en tout cas t’es courageuse d’être parti, que dieu les maudisse ou qu’ils les guide, encore toi t’es parti et t’es revenu mais ceux qui sont toujours entre leurs mains qu’allah les protège amine
Salem aleykom mashà’Allah ma sœur tu as été très forte et patiente face a ces bourreaux! J’attends la suite de ton récit avc impatience! Qu’Allah facilite nos frères et sœurs palestiniens qui sont persécutés au quotidien depuis soixante ans par ces criminels.
SubhanaAllah c’est abusé et après sa se fais passer pour un pays démocratique. Mais y’a des choses qui me choque de la sœur, depuis quand le fais d’être naïve c’est mentir? Est ce permis de mentir? Et je me demande comment ils sont pris le fait qu’elle prier?
ma cha Allah
Salam alaikoum
Beau recit machaAllah mais qu’elle etait l’irrégularité sur le passeport qui a été retenue ?
Merci pour votre retour