Palestine: Moi Murad, Palestinien d’Hébron, menacé par les colons

Nous avons la chance d’avoir pu nous entretenir longuement avec un jeune activiste au sein du mouvement Youth Against Settlements (Jeunesse contre les colonies), Murad Amro. Figure de proue de la résistance palestinienne au sein d’une des villes les plus durement attaquée par des colons barbares,  Hébron, notre frère Murad est aussi poète à ses heures perdues, lorsqu’il souhaite nous faire partager son quotidien.

Mais d’abord, qu’est-ce que la ville de Hébron a de si particulier ? Ceux qui l’ont visitée en gardent un souvenir effroyable. La principale rue commerçante qui apportait un revenu à bon nombre de familles, Shuhada Street, a été presque complètement fermée depuis longtemps. Les quelques commerces qui y subsistent sont obligés de bâcher les toits, car les colons israéliens qui vivent en hauteur leur jettent quotidiennement des détritus en tous genres, quand ils ne leur urinent pas tout simplement dessus.

Rues séparées et toutes rebaptisées en hébreu, checkpoints, les soldats sont postés un peu partout et veillent au grain. Les attaques de maisons par des colons sont fréquentes, ils tentent d’y placer un drapeau israélien et revendiquent toutes les terres par la force, protégés par l’armée. Hébron est sans aucun doute l’une des villes les plus invivables après Gaza, et pourtant, Hébron résiste au milieu des colonies qui se multiplient.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Murad Amro (la famille Amro est une très grande famille dans la région d’Hébron), je suis Palestinien, et je vis à Hébron. J’ai 25ans, je suis ingénieur en agriculture, et un militant non-violent. Je fais parfois le guide touristique, pour ceux qui souhaitent connaître notre ville.

Tu es un militant connu au sein de Youth Against Settlements. Quel est ton rôle exactement ?

Je suis volontaire au sein de ce mouvement. Nous faisons beaucoup de choses avec mes amis. Par exemple, nous manifestons très régulièrement, pacifiquement, et nous filmons également les colons israéliens qui nous attaquent, afin d’y diffuser au maximum.

Nous avons également des activités sociales, comme des cours d’hébreu (et d’autres langues) pour que les palestiniens vivant au milieu de colonies puissent agir et s’en sortir. Nous proposons aussi des cours d’édition, des cours où nous apprenons aux jeunes à filmer efficacement. Nous réhabilitons également d’anciennes maisons, et nous aidons nos frères palestiniens à reconstruire leur domicile.

Nous proposons aussi aux internationaux en passage à Hébron de découvrir notre ville, et notre quotidien rythmé par l’occupation. En fait, nous aidons les palestiniens dans tout ce qu’ils souhaitent : c’est le principe de l’entraide. Nous organisons quotidiennement des maraudes dans la ville, afin d’aider ceux qui en ont besoin.

Quels sont tes sentiments à propos de cette occupation dont tu parles, dans ta propre ville ?

Par où commencer ? J’ai l’impression que personne d’autre au monde ne peut ressentir ce que je ressens en tant que Palestinien. Parfois, ce sentiment m’étouffe, me tue. Un mélange entre tristesse, espoir et résistance. Je ne peux vraiment l’expliquer, mais ce tout est plutôt sombre. La vie à Hébron est très dure, c’est pourquoi j’espère qu’un maximum de gens me liront. J’espère toujours et je rêve de pouvoir marcher un jour sans voir l’armée de défense israélienne. J’espère passer une nuit sans rêver d’occupation. Je rêve de voir les drapeaux palestiniens s’élever dans toute la Palestine.

Je rêve même d’avoir un travail, de vivre une vie normale… de vivre en paix… sans apartheid, sans racisme, d’être traité en humain. C’est ça surtout qui nous manque, être traités en humains.

Concrètement, quel est ton objectif ?

Notre objectif est de mettre fin à l’occupation et aux colonies, afin de rendre aux Palestiniens une vie correcte et digne.

Tu t’es marié récemment, l’équipe d’Ajib.fr t’adresse toutes ses félicitations ! Peux-tu nous expliquer si le mariage et la vie de famille prennent une autre dimension sous occupation ?

J’ai rencontré ma femme pour la première fois dans un checkpoint alors que l’armée illégale d’occupation m’y retenait. C’est très dur de se marier ici, puisque la vie est chère pour nous. J’ai dû m’endetter et je ne trouve pas de travail malgré mon diplôme et des années d’études.

Le mariage lui-même a été presque gâché par l’armée israélienne : lorsque nous sommes partis chercher ma femme chez elle comme le veut la tradition, l’IDF a fermé toutes les rues afin que nous ne puissions pas circuler en voiture. Nous sommes donc partis… à pieds, sous les provocations des soldats.

Aujourd’hui, alhamdulillah, ma femme est enceinte. Comment vais-je subvenir à ses besoins, et à ceux de mon enfant à venir ? Il faudra encore compter sur l’entraide et garder sa dignité malgré le chômage. Ma femme vit aussi dans la peur, peur que je sois arrêté pour mes activités de militantisme [Murad a été arrêté plusieurs fois, et tabassé]. Mais elle est également très fière, et me pousse toujours à ne pas abandonner. Elle vivait également juste à côté des colonies, et a été attaquée par des militaires israéliens quand elle avait 5ans, ainsi que sa famille. Nous partageons le même combat.

En Europe, les partisans d’Israël affirment que les Palestiniens haïssent les Juifs, les accusant d’antisémitisme. Qu’as-tu à répondre à cela ?

Nous ne détestons pas les Juifs et cela n’a jamais été le cas ! Si beaucoup l’oublient, en 1929 pendant la guerre, les Palestiniens ont sauvé de nombreuses familles juives. Et pourtant, les colons ont tués plusieurs d’entre nous en 1994 à la mosquée Ibrahimi. D’ailleurs, nous ne détestons personne.

Ce que nous détestons plus que tout, c’est l’occupation illégale et les colonies qui ont rendus nos vies misérables. Si des chrétiens ou des musulmans nous avaient fait subir la même chose, nous aurions tout autant résisté. La religion de nos occupants n’est pas notre problème, cela nous est complètement égal.

Le soutien aux palestiniens dans le monde est en plein essor. Qu’en penses-tu ?

C’est une bonne chose mais nous avons besoin de plus pour contrer ce terrible système. Nous avons besoin également que ceux qui détiennent le pouvoir prennent fait et cause pour nous. Nous sommes incroyablement reconnaissants envers tous ceux qui nous supportent, mais nous avons besoin que leur gouvernement fasse réellement pression sur le gouvernement sioniste.

 Merci à toutes et à tous, du fond du cœur.

Crédit Photo : Youth Against Settlements