A une certaine époque, les américains voguaient au-delà des mers pour charger d’Africains les cales de leurs navires. Une main d’œuvre bon marché qui ne demandait rien en retour.
Des années de calvaire pour ces générations d’Africains arrachés à leurs familles dans le but de servir l’homme blanc. Privés d’éducation et de liberté, les esclaves n’avaient pas droit au chapitre.
Gardés dans l’ignorance, ils ne savaient ni lire ni écrire.
A l’occasion de la célébration du Mois de l’histoire afro-américaine, la prestigieuse Bibliothèque du Congrès de Washington exhumera le 5 février prochain, un manuscrit rare : le récit autobiographique de Omar Ibn Saïd, un esclave noir hors du commun.
Omar ibn Said est un musulman originaire d’Afrique de l’Ouest et comme ses camarades d’infortune, il est enlevé en 1807 par des navigateurs américains. Contrairement aux autres Africains, il sait lire et écrire.
En 1831, il est le premier Africain réduit à l’esclavage à écrire ses mémoires en arabe. Un document rare que le collectionneur afro-américain, Derrick Beard réussi à acquérir.
« Il était déterminé à l’obtenir », a déclaré Mary-Jane Deeb, chef de la division Afrique et Moyen-Orient de la bibliothèque.
« Il pensait que cela devrait être disponible pour tous les Américains… pas seulement pour un collectionneur privé. C’était très triste. … Il était tellement malade. … Il disait : “l’achetez-vous ? Allez-vous l’acheter ?” »
Car Beard qui était musulman est mort à l’âge de 59 ans juste après avoir mis la main sur les mémoires d’ibn Said.
« Quelques mois après son achat, il est décédé. Je peux seulement dire qu’il a dû mourir heureux, parce que le manuscrit est arrivé à la bibliothèque (du Congrès), où il le voulait » à ajouté Mary-Jane Deeb.
Le manuscrit d’Omar ibn Said débute avec la Sourate 67 du Coran, Al Mulk, la Royauté.
« Il a choisi celui-ci parmi tous les chapitres du Coran », a déclaré Deeb.
« Dans l’Islam, tout appartient à Dieu. Personne n’est vraiment propriétaire. … Le choix de ce verset est donc extrêmement important. C’est une critique fondamentale du droit de posséder un autre être humain ».
Le document, écrit en caractères arabes sur du papier à l’encre de fer, se veut être une mise en garde contre la colère et la punition de Dieu.
Mais malgré sa condition d’esclave, ibn Said reconnaît avoir été bien traité par ses patrons.
« C’est très important … pour de nombreuses raisons », a déclaré Deeb. « D’abord… c’est une autobiographie écrite par un esclave alors qu’il était encore esclave. Ce n’est pas un homme libéré. Il meurt esclave . » (Ibn Said est décédé en 1864, au milieu de la guerre de Sécession, avant la fin de l’esclavage.)
Malgré son statut d’esclave, Omar ibn Said était un érudit, il écrivait en arabe et avait étudié les sciences islamiques. Le fait de rédiger son manuscrit en arabe lui permettait d’écrire ce qu’il voulait, peu d’américains à l’époque lisaient l’arabe.
« Mon nom est Omar ibn Said », écrivait l’auteur dans son récit pour prouver qu’il était avant tout un homme libre.
« Mon lieu de naissance est Fut Tur (Le Fouta -Toro ancien royaume et un territoire historique dans le nord du Sénégal). J’ai cherché le savoir-faire et je le cherchai pendant 25 ans. … Puis, une grande armée est arrivée dans notre pays. Elle a tué de nombreuses personnes. Il m’a pris et m’a conduit à la grande mer, et m’a vendu dans la main d’un homme chrétien qui m’a acheté et m’a conduit au grand navire dans la grande mer. »
Selon Deeb :
« C’était probablement vers 1807. Ibn Said avait alors 37 ans et après 25 années d’études, il a dû apprendre la philosophie, la théologie et l’astronomie. C’est ce que vous attendez de ceux qui vont au-delà de la lecture, de l’écriture et de l’apprentissage du Coran par cœur.
La langue d’enseignement était l’arabe, mais ibn Said parlait également l’une des langues locales de sa région.
Après son enlèvement, il a probablement été conduit au port de Saint-Louis, dans l’actuel Sénégal, puis à Charleston, Caroline du Sud. Il était probablement à bord de l’un des quatre navires négriers américains qui venaient de Saint-Louis et qui transportaient 385 Africains en esclavage à Charleston.
“Nous avons navigué dans la grande mer pendant un mois et demi avant d’arriver à un endroit appelé Charleston”, a raconté ibn Said. “Et dans une langue chrétienne, ils m’ont vendu. Un homme faible, petit et méchant, appelé Johnson, un infidèle qui ne craignait pas du tout Allah m’a acheté”.
Mais ibn Saïd s’enfuit bientôt et se rendit en Caroline du Nord, où il fut capturé autour de Fayetteville. Il a été emprisonné puis remis au propriétaire de la plantation et futur membre du Congrès, James Owen, frère de John Owen, futur gouverneur de la Caroline du Nord.
Ibn Said a ensuite passé le reste de sa vie avec la famille Owen dans le comté de Bladen, en Caroline du Nord, dans leurs plantations situées sur la rivière Cape Fear.
Il est vite devenu une célébrité. Les gens ont été frappés par sa dignité et sa tenue. Il a fait l’objet d’articles de journaux et de visites d ‘“érudits”.
La raison pour laquelle ibn Said a décidé d’écrire son récit ou à qui il était destiné n’est pas tout à fait claire. Peut-être était-ce pour d’autres esclaves musulmans aux États-Unis. Selon les estimations, 10 à 15% des esclaves aux États-Unis étaient musulmans.
Le récit d’Omar ibn Said est passé de main en main avant d’atterrir chez Derrick Beard. En apprenant qu’il était malade, Beard a souhaité vendre sa collection, à la condition que celle-ci reste aux Etats-Unis car disait-il “Cela fait partie de l’histoire de ce pays. Cela fait partie de l’histoire américaine.”
Je pense qu’en tant qu’Afro-Américain, musulman et collectionneur d’art et de culture matérielles afro-américaines, il se sentait profondément responsable de cette pièce … Il tenait beaucoup à partager les documents et les histoires . » a conclu Mary-Jane Deeb.