Le 1er février 2024, dans un podcast au Koweit « Bi douna waraq » (sans note), Moustafa Barghouthi, médecin, militant et homme politique palestinien, était invité pour répondre à la question : « Pourquoi la question palestinienne n’a pas été élucidée ? »
Dans cette entrevue, il évoque certains faits historiques tels que la résolution 181 qui recommandait le partage de la Palestine entre un état juif et un état arabe, les accords de Camp David, ceux d’Oslo, la fondation de plusieurs mouvements palestiniens, etc.
Il apporte des chiffres effrayants sur la situation à Gaza ainsi qu’une argumentation claire de la volonté sioniste d’éradiquer le peuple palestinien. Aujourd’hui, plus de 3 mois plus tard, ces chiffres et l’ampleur des pertes sont malheureusement bien plus importants.
Génocide à Gaza : une violence jamais vue auparavant.
“L’affrontement actuel est le pire en termes d’agressivité et de violence, venant des sionistes. C’est un crime de génocide.
Israël commet actuellement trois crimes de guerre simultanément : le premier crime est un génocide, le deuxième est le nettoyage ethnique et le troisième est la sanction collective sur toute la population.
C’est pourquoi ce que commet Israël est indéfinissable. Elle a lâché à cet instant 65 mille tonnes de bombes, supérieures au volume des deux bombes nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki au Japon lâchées durant la Deuxième Guerre mondiale.
C’est-à-dire qu’Israël a lancé sur Gaza l’équivalent de 28 kilogrammes d’explosifs sur chaque individu, homme, femme et enfant.
Nous avons 32 mille martyrs en comptabilisant ceux qui sont sous les décombres. C’est un chiffre foudroyant que l’on n’a jamais vu auparavant. Il y a environ 64 mille blessés.
Au total, c’est près de 100 mille palestiniens qui sont morts martyrs ou qui ont été blessés en moins de trois mois. C’est un chiffre énorme qui correspond à 4% de la population.
Si cela s’était produit aux États-Unis, on parlerait de 12 millions de morts et de blessés. Le nombre de palestiniens martyrs, en proportionnalité, a dépassé le nombre de morts américains de toutes les guerres des États-Unis depuis le 18ème siècle, y compris la Première et la Deuxième Guerre mondiale, la guerre du Vietnam et d’Irak. C’est foudroyant.
Les pertes provoquées par Israël ne se sont jamais réalisées en si peu de temps dans l’histoire de l’humanité. »
La destruction totale des infrastructures.
« Concernant les destructions, 70% des établissements et des foyers ont été détruits à Gaza. L’Allemagne, en 5 ans, pendant la Deuxième Guerre mondiale, n’a été détruite qu’à 10%. Alors que les sionistes ont détruit Gaza à 70% en 3 mois.
Toutes les universités ont été détruites, 25 hôpitaux ont été détruits, 422 centres de santé ont été détruits, toutes les infrastructures ont été détruites. C’est littéralement un génocide clair. Et actuellement, à cause de l’effondrement infrastructurel, des épidémies commencent à se propager.
Une catastrophe sanitaire.
Nous avons actuellement dans le secours médical, dont je fais partie du conseil d’administration, nous avons 30 équipes médicales qui sont en activité à l’intérieur de Gaza. Et je suis fier d’eux et de leur sacrifice.
Certains d’entre ont été emprisonnés, d’autre torturés, certains sont morts, mais ils continuent de travailler au cœur même de la ville de Gaza, malgré la présence de l’occupation avec les chars.
Ils soignent les gens mais ils me disent qu’actuellement, il y a 400 mille patients qui sont touchés par de multiples maladies : environ 110 mille sont touchés par des maladies respiratoires, plus de 120 mille par des maladies du système ostéo-articulaires à cause de l’absence d’eau potable. Il y a plus de mille cas de contamination par l’hépatite B et 50 mille cas de maladies de la peau.
C’est quelque chose d’effrayant. Ces épidémies peuvent même commencer à se propager chez les enfants.
9 personnes sur 10 ne mangent pas tous les jours à Gaza.
D’après un rapport de l’organisme alimentaire mondiale, de l’UNICEF et de l’office de secours internationale (UNRWA), il y a actuellement à Gaza 570 mille personnes qui sont touchées par la famine. 25% de la population de Gaza souffrent de la famine.
9 personnes sur 10 ne mangent pas tous les jours. 50 mille femmes enceintes ne trouvent pas de lieu sécurisé et propre pour accoucher. 64 mille femmes qui allaitent ne trouvent pas de lait, ni de vitamines, ni ce dont elles ont besoin pour survivre et nourrir leurs enfants. Actuellement, des enfants commencent à mourir à cause de la famine et la propagation des maladies.
C’est véritablement un génocide par le meurtre, le bombardement, la destruction, la privation de nourriture et la propagation des maladies.
Raison pour laquelle on doit consacrer toute notre énergie à stopper cette agression et mettre fin à cette guerre destructrice pour sauver notre peuple de cette destruction en cours. »
L’opinion internationale et occidentale.
Comment réfléchit l’esprit occidentale qui possède une grande portion de la force politique ? Comment pense-t-il lorsqu’il voit ce qui se passe ?
« Les peuples changent. Aujourd’hui, un grand nombre de populations nous soutiennent, même parmi ceux qui sont aux États-Unis. Évidement. La majorité des jeunes générations ; 70% s’opposent à la politique américaine sur le territoire de Gaza. Même la majorité du parti démocrate s’y oppose.
Mais les sénateurs, les membres du congrès et le gouvernement sont tous liés à Israël, soutiennent Israël et soutiennent la poursuite de ce massacre en cours sur le peuple palestinien.
Il y a une contradiction et un désaccord entre la position de la population et des gouvernements, parce que les gouvernements ont un agenda colonial. Israël a réussi à embrigader (le monde), ou du moins essaie de réussir à l’embrigader sur trois fléaux les plus dangereux de l’histoire humaine moderne.
Le premier : le racisme, le deuxième : l’islamophobie, l’animosité envers les musulmans en Europe et en Amérique, et le troisième : la théorie de la suprématie de la race blanche “White supremacy”. »
La théorie de la supériorité raciale et le colonialisme.
« Israël applique actuellement en Palestine la théorie de la suprématie de la race juive. Ils ont repris les textes talmudistes qui sont racistes jusqu’à l’os […].
Tu as en Israël des ministres qui annoncent ouvertement leur fascisme comme Smotrich et Ben-Gvir. En arrivant au pouvoir il y a plus d’un an dans le gouvernement de Netanyahu, Smotrich a fait une déclaration avant la guerre à Gaza :
« Nous allons établir des implantations et des colons en Cisjordanie pour que tous les palestiniens perdent espoir d’avoir un état indépendant. Et c’est là que les palestiniens seront face à trois choix : un exode, (c’est-à-dire une épuration ethnique) ; ou un asservissement absolu à Israël, (c’est-à-dire le régime raciste de l’apartheid) ; ou la mort (c’est-à-dire un génocide). »
C’est ce dernier qu’ils appliquent actuellement à Gaza. Et il est important que je parle de ceci.
« La mariée est belle, cependant elle est déjà mariée ».

« Quel est l’essentiel du problème du mouvement sioniste qui s’est implanté à Israël à nos dépends ?
Herzl envoya trois rabbins en Palestine pour découvrir les lieux, car il ne connaissait pas le pays, n’y avait jamais été et ne l’avait jamais visité. Il voulait savoir si cette terre conviendrait pour devenir un pays pour les juifs, comme cela fut promis dans les accords de Belfort.
Après s’y être rendus, les rabbins lui envoyèrent un message télégraphique explicite disant : « La mariée est belle » c’est-à-dire la Palestine est une belle terre, « cependant, elle est déjà mariée. » Car il y avait déjà un peuple présent sur cette terre, le peuple palestinien.
Aujourd’hui, le mouvement sioniste fait face à un problème. Il est vrai que les sionistes ont pu, par la force militaire et le soutien américain et britannique, prendre possession de la terre. Par la force des armes. Cependant, ils n’ont pas pu exécuter la deuxième partie du plan sioniste consistant à chasser tous les habitants.
Aujourd’hui, après avoir réussi à chasser 70% des Palestiniens de leur terre, et malgré 7 millions de réfugiés palestiniens qui vivent en dehors de la Palestine, le nombre de palestiniens dans toute la Palestine dépasse actuellement celui des juifs israéliens. Comment résoudre ce problème ? Sans pour autant choisir une solution à deux états ni celle à un seul état, que reste-t-il ?
Le génocide et l’épuration ethnique. C’est ce que pratique Israël aujourd’hui et c’est ce qu’il faut faire échouer et briser. Il faut démolir cette théorie qui prône la supériorité de la race juive mais aussi celle de la domination israélienne à travers les implantations coloniales à l’encontre du peuple palestinien. Beaucoup ont cru que le mouvement sioniste accepterait une solution médiane. Mais le message qu’ils envoient est que pour eux, il n’existe pas de solution médiane. »
Doit-on blâmer la résistance du peuple ?
« Premièrement : la chose la plus dangereuse et la plus mauvaise que l’on puisse faire est de blâmer la victime. Si une femme se fait violer, la blâmes-tu ? Si un peuple se fait coloniser, blâmes-tu ceux qui résistent à cette colonisation ? Aujourd’hui, on pratique contre nous un génocide et on blâme les Palestiniens ? C’est des propos et une mentalité que l’on rejette.
[…]Nous avions déjà 240 martyrs avant que ne débute le 7 octobre, dont 40 enfants que les colons et l’armée de l’occupation ont tués.
À Jérusalem, Israël s’en prenait à tous les lieux saints, qu’ils soient islamiques ou chrétiens. Ils crachaient sur les religieux chrétiens devant leurs églises. Ils attaquaient la Mosquée d’Al-Aqsâ jour et nuit. Ils commençaient même à judaïser la Mosquée d’Al-Aqsâ en établissant des prières talmudiques à l’intérieur de celle-ci.
En plus de tout cela, ils pratiquaient une expansion coloniale sans précédente, que l’on n’avait encore jamais vue.
En plus de cela, Gaza était sous blocus depuis 2006, soit 17 ans.
Il n’y avait que 6h d’électricité par jour ; 95% de l’eau n’était pas potable ; 80% des jeunes instruits étaient sans emploi ; 70% de la population de la bande de Gaza était sous le seuil de pauvreté.
Le siège contrôlait tout ce qui pouvait entrer ou non à Gaza. Et Israël assiégeait Gaza de différentes façons : en assiégeant toutes les voies terrestres et les points de passage, en assiégeant la mer, l’espace aérien et même les champs électromagnétiques. En Cisjordanie il y a la 3G, mais pas à Gaza.
La plus grande prison de l’histoire.
Gaza était une immense prison, comme l’a évoqué un écrivain israélien Ilan Pappé. Il a écrit un livre intitulé : « La plus grande prison de l’histoire ».
Toute la bande de Gaza était une prison fermée. Puis les gens ont fini par exploser, ils ne pouvaient plus supporter cette situation. Blâmes-tu un peuple pour s’être soulevé contre l’injustice ?
Est-il dit dans l’histoire que l’on reprocha à Spartacus d’avoir fomenté la révolte des esclaves contre l’empire romain ? Blâme-t-on le peuple algérien de s’être révolté contre la colonisation française ? Les Indiens qui ont été colonisés par les Britanniques près de 236 ans, blâme-t-on Gandhi de s’être soulevé contre la colonisation britannique ?
Pourquoi nous blâme-t-on ? Quelqu’un blâme-t-il l’Afrique du Sud de s’être soulevé contre le régime raciste de l’apartheid ? Ou le peuple vietnamien de s’être insurgé contre l’agression américaine et celle des Français avant cela ?
Pourquoi nous blâme-t-on, nous, palestiniens, de nous être soulevés contre un occupant qui nous a opprimés en tant qu’humains depuis maintenant plus de 100 ans ?«