En 711, les conquérants musulmans envahissent le royaume wisigoth d’Espagne et le soumettent entièrement. Pendant tout le Moyen Age, la péninsule Ibérique, devenue al-Andalus, vivra sous la loi de l’islam. Le Figaro Histoire consacre son nouveau dossier à ces huit siècles de domination musulmane et à la lutte des souverains chrétiens pour recouvrer l’Espagne «perdue». Les meilleurs spécialistes en font revivre les grandes figures comme Le Cid ou Averroès, décryptent les légendes qui ont entretenu le mythe d’un «paradis andalou» et d’un âge d’or de la tolérance religieuse, vous ouvrent les portes de l’Alhambra de Grenade avec ses mystérieuses inscriptions.

Voilà l’introduction que l’on peut trouver sur le site du figaro.fr qui présente le numéro 36 du bimestriel le Figaro Histoire intitulé « La légende et l’histoire, L’Espagne musulmane d’Al-Andalus à la Reconquista ».

Il va de soi évidemment que l’on ne s’attendait à un portrait mielleux de l’histoire musulmane de l’Espagne vu l’objectivité presque légendaire du Figaro quand il s’agit de notre belle religion (pour vous en convaincre faites une petite recherche avec le tag islam sur le site http://plus.lefigaro.fr/tag/islam). Mais de là à publier un bimestriel révisionniste de 132 pages, cela ne nous enchante guerre, surtout dans une période où l’on cherche plutôt à réconcilier les civilisations et éteindre les flammes des conflits religieux et ethniques.

On doit beaucoup de passages à un certain Dario Fernandez-Morera, un professeur de littérature et de langues à la Northwestern University, dans le département d’espagnol et portugais. Un professeur de langues aux Etats-Unis qui écrit sur 800 ans d’histoire qui nous concerne intimement, alors même que les historiens français ou francophones sont nombreux à avoir écrit sur le sujet, nous chers compatriotes lecteurs du Figaro devraient s’en indigner il me semble. Cela nous rappelle d’ailleurs un autre professeur de langues, ou plutôt pardon de « philologie sémitique », Serafin Fanjul, dont le Figaro a également fait largement la promotion pour son livre « Al Andalus, l’invention d’un mythe ». A croire qu’il n’y a pas assez à faire dans l’étude des langues pour que ces chers professeurs de langue s’attachent à la révision de l’histoire…

Mais passons le problème d’expertise. Venons-en au contenu. Nous n’avons parcouru qu’une partie des articles et vous avons sélectionnés quelques perles :
Sur le soi-disant attrait des musulmans pour les hommes dhimmis : « on ne saurait sous-estimer en effet l’attrait de l’islam médiéval pour les dhimmis bien pourvus en testostérone. »

Sur les muladis : « En définitive, la majorité de la population n’était pas composée d’«immigrés» mais de convertis apparus après la première génération – les muladis. Ce terme, dérivé de l’élevage bovin, qui signifie «bâtard», en dit long sur la manière dont ces convertis étaient considérés dans al-Andalus. De nombreuses révoltes de muladis éclatèrent et furent écrasées sans pitié. »

Sur l’essor du commerce international pendant la période Omeyyade : « Les jihads contre les royaumes chrétiens, l’exploitation des dhimmis et l’exportation d’esclaves constituaient des sources importantes de revenus pour la cour omeyyade de Cordoue. »
Restons-en là vous aurez compris je pense la teneur de la haine et de la violence verbale de ces chers professeurs qui semblent oublier leur passé… En tant que musulmans, nous ne sommes pas non plus utopiques, nous savons que l’islam « éclairé » andalou avait, comme toute civilisation humaine, ses atouts et ses faiblesses. Même en matière de religion et de sciences, il y a eu des avancées majeures, tout comme des écarts à condamner. Mais au-delà de la condamnation ou de l’apologie, la lecture de l’histoire est importante pour comprendre. Comprendre comment le commerce, priorité établie de l’Espagne andalouse, rassemble les peuples et cultive la paix et la tolérance (lire l’article de Claudio Torres à ce sujet). Comprendre aussi, sur un plan plus critique, que cette civilisation qui a été complètement annihilée et déracinée de l’Europe (presque aucune filiation reconnue parmi les habitants de l’Espagne ou du sud de la France qui remonte à la période andalouse, malgré 800 ans de présence musulmane!) a aussi périclité car les nobles et aristocrates se sont laissés aller aux plaisirs mondains. Il faut lire et comprendre l’histoire pour mieux construire notre avenir.

Heureusement, cette publication sur l’Islam Andalou n’est pas la seule. Et il est clair que des voix se sont élevées, et s’élèveront encore pour ne pas utiliser l’histoire à des fins politiques mais simplement pour rapporter les événements passés et éclairer ainsi notre présent.

Citons par exemple pour conclure le magnifique témoignage de Michel del Castillo dans « Je suis un musulman », paru dans Le Monde, le 18 Janvier 2002.
« Je suis un Européen du Sud, pour moitié andalou, autant dire à demi-musulman. Je sais trop ce que notre vieux continent doit à l’islam espagnol, et d’abord le retour à la raison grecque. […] Non seulement les musulmans d’Espagne ouvrirent à la raison un espace où Averroès, Avicenne et Maïmonide s’aventurèrent hardiment, ils furent également médecins, géographes, astronomes, historiens, mathématiciens, alchimistes et physiciens, architectes miraculeux, musiciens raffinés, jardiniers délicats, horticulteurs et artisans subtils. Durant près de cinq siècles, les califes et les émirs ont tenu école de tolérance, défendant les juifs, accueillant les chrétiens, cohabitation sans exemple en ces temps de fanatisme. Cet héritage, je fais plus que l’accepter, j’en tire fierté. »

A notre tour d’être fier de notre histoire, en tant que musulmans et en tant qu’européens, à la mettre en lumière, à encourager nos enfants à se l’approprier, et pourquoi pas, à encourager aussi nos enfants à se spécialiser dans l’étude de ce passé qui peu à peu risque sinon d’être oublié, ou pire, d’être révisé pour des intentions peu louables.

By Younes

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