[EDITO] Les filles et garçons musulmans (trop) pratiquants pas encore exclus de l’école publique…dommage.

Jean-Michel Blanquer, Ministre de l’Education Nationale,  se vante d’avoir fait des avancées majeures pour renforcer le respect de la laïcité et la transmission des valeurs de la République à l’École. Et à ce titre, il est très actif : mise en place d’un conseil des sages (photo ci-dessous), mise en place d’équipes nationales et académiques laïcité et fait religieux, adresse de saisine pour que les professeurs obtiennent en 24h une réponse à leurs « signalement d’un problème relatif à la laïcité » et dernière en date, publication d’un vademecum de la laïcité à l’école.

J’ai lu les 80 pages de ce vademecum qui s’annonçait volontariste et que l’on espérait enfin régler les problèmes de la laïcité à l’école, « pour l’école de la confiance » comme le sous-titre l’indique, mais j’ai été déçu.

Blanquer et ses chers sages dont la moyenne d’âge frôle l’âge légal de départ à la retraite semblent en effet avoir manqué d’inspiration pour trouver les bons détours législatifs et réglementaires pour enfin exclure les filles et garçons musulmans un peu trop pratiquants de l’école de la République.

Car soyons honnêtes s’est de cela qu’il s’agit à terme. Le vademecum donne toute une liste de conseils en mode « la laïcité pour les nuls » aux personnels enseignants et encadrant des écoles de la République dans le but de contrer la menace que pourraient poser des enfants de 3 à 18 ans à la transmission des valeurs et enseignements fondamentaux de l’école. L’objectif est louable n’est-ce pas ?

Et comme on s’y attend, certains personnels sauteront sur l’occasion pour « mettre en œuvre une procédure disciplinaire » dans chaque cas avéré de « problème relatif à la laïcité » après avoir essayé bien sûr « un dialogue avec l’élève et la famille ». Comprendre de nombreuses jeunes filles et de nombreux jeunes garçons courent encore un peu plus le risque de se faire exclure car elles portent des jupes trop longues, elles ont un bandana sur la tête, elles refusent de se mettre en maillot de bain et participer aux cours de piscine, car ils ou elles jeûnent le Ramadan en plein été, ou car ils ou elles remettent en cause certains enseignements de SVT ou d’histoire. Il y a même des jokers implicites dans le document pour trouver des parades dans le cas de jeunes filles venant d’établissements privés passer les examens et que l’on pourrait mettre au pas et demander, sous prétexte de vérifier qu’il n’y a pas de dispositif de triche, de se dévoiler lors du contrôle d’identité…

Le vademecum semble bien renseigné, en ce qu’il cite les réponses parfois improvisées des familles à la pression toujours un peu plus forte de l’école contre certaines de leurs valeurs ou de leurs interprétations de leurs obligations religieuses ou culturelles : des certificats médicaux de complaisance, des tenues vestimentaires un peu trop modestes, des absences les jours de fête religieuse, des demandes de paniers repas individuels des familles soucieuses de donner une nourriture adaptée à leurs enfants, etc.

Le vocabulaire du ministre en parlant de ses initiatives est vindicatif.  Face à ces dérives la fermeté est de rigueur pour « rester à l’abri de toute manifestation de propagande ». Le vademecum équipe ainsi les personnels pour une réponse appropriée, tout en donnant un autre moyen d’action à travers le signalement des dérives aux équipes laïcité et fait religieux de l’académie. Face à la pression idéologique, la République ne cédera pas ! Le ministre dans son introduction cite Jean Zay qui déjà en 1937 disait haut et fort : « Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements. Je vous demande d’y veiller avec une fermeté sans défaillance ». Enseignants tenez vos rangs et n’y allez donc pas de main morte !

Mais en tant que fruit de l’éducation publique justement, je me demande si la République n’a justement pas déjà cédée en se lançant en série depuis quelques années dans ces initiatives « quelque part entre ubuesque et sordide » comme le qualifie Mediapart.

Mediapart a raison, « Ce ne sont pas les religions qui sont visées mais l’une d’entre elles ». Et de rajouter « Ce n’est pas l’islam en tant que tel mais les élèves et leurs familles qui s’en réclament, toutes ou presque issues de l’immigration, victimes de l’effarante dérive identitaire d’une laïcité dénaturée, dans laquelle l’Education nationale, sa tête politique mais pas seulement, tient plus que sa place. »

On nous apprenait jadis à l’école que dans les années 1880, la véritable avancée des lois scolaires de Jules Ferry portait sur la scolarisation des filles et des enfants des campagnes, que les parents sont obligés d’envoyer à l’école alors qu’ils préféraient les voir participer aux tâches ménagères ou travailler dans les champs. Nous vivions dans une autre époque.

Finalement ces dérives laïcistes ne conduisent-elles pas lentement vers un recul sur ces principes, en incitant peu à peu ceux et celles qui justement ne voudront pas céder sous prétexte de leurs principes (ou de leur compréhension des principes) religieux face aux pressions du corps enseignant et dirigeant des écoles, et qui accepteront ainsi de se voir exclure, ou de voir leurs enfants exclus de l’école au lieu de se voir ridiculisés et rabaissés par un enseignant leur imposant à contrecœur de se mettre en maillot de bain, de manger de la viande non halal à la cantine, ou de ne pas jeûner le Ramadan. Ils trouveront des parades, donneront des cours à distance à leurs enfants, les enverront dans des écoles catholiques ou musulmanes si elles ne sont pas fermées d’ici là, ou pour certains envisageront des décisions plus radicales comme le départ du sol français vers des terres (supposées) plus clémentes, y compris dans d’autres pays d’Europe. Pourra-t-on leur adresser des reproches alors qu’ils se préoccupent de l’éducation au sens noble du terme c’est-à-dire la « mise en œuvre des moyens propres à assurer la formation et le développement d’un être humain »? Oui, avoir des principes fermes et solides et s’y tenir, tant qu’ils ne conduisent pas à nuire aux autres, est important dans la constitution de la conscience d’un enfant.

Je n’apporterai aucun jugement sur ceux qui, au contraire, préfèreront s’adapter à la compréhension actuelle de la laïcité, et qui imposeront donc à leurs enfants, souvent à contrecœur, d’ôter le voile, de participer aux cours de piscine, de se taire quand l’islam est présenté de façon caricaturale par un enseignant un peu provocateur, et qui ne fêteront pas l’Aïd en famille car l’école ne leur permet de s’absenter pour cette fête pourtant si chère et si importante pour la cohésion familiale. Il y aura sûrement des dégâts en termes d’estime de soi et d’estime de l’école, une rancœur naîtra peut-être dans le cœur de ces enfants qui grandiront ensuite schizophrènes entre les normes de l’école et les normes de leur foyer ou leurs propres normes, et certains d’entre eux feront ensuite un retour encore plus radical à l’âge adulte vers une interprétation stricte de la norme religieuse pour corriger des années de frustration cachée. Nous avons observé cela et le regrettons amèrement quand il est trop tard.

Pour conclure donc, comme je le disais en titre, j’en viens presque à regretter que notre cher ministre Blanquer n’y soit pas allé plus « cash » et ait mis en place un arsenal beaucoup plus agressif pour exclure tout bonnement les enfants musulmans trop pratiquants de l’école publique. Pour deux raisons au moins. D’abord parce que les compatriotes français qui sont encore la mémoire vivante de ce qu’était la France d’il y a cent ans, avec des franges entières de la population exclues des systèmes de promotion sociale se seraient enfin indignées avec rage, là où aujourd’hui seul un seul article de Mediapart nous semble critiquer ouvertement ces initiatives.  La deuxième raison c’est que les musulmans eux-mêmes se seraient peut-être enfin indignés, de façon constructive, et se seraient unis pour enfin expliquer que la pratique de cette religion musulmane, toujours pointée du doigt, n’est pas un problème mais bien souvent un facteur de succès des enfants à l’école. A suivre donc, jusqu’au prochain épisode…

By Younes

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