Hajj : les défis d’une agence de pèlerinage (interview)

Aujourd’hui, nous proposons à nos lectrices et lecteurs le témoignage d’une des responsables d’une agence de voyage spécialisée dans le pèlerinage, « hajj » et « omra ». Agrandissement à La Mecque, hausse des tarifs, travail avec l’Arabie Saoudite… découvrez quelques coulisses de l’organisation du hajj.

Salam aleykum wa rahmatullah. Comment définiriez-vous votre travail, et votre rôle dans la communauté musulmane ?

Wa ‘aleykum salam wa rahmatullah. Avant tout, nous sommes une agence de voyage. Nos spécialités, en plus des services touristiques traditionnels destinés à tout public, sont les prestations liées au pèlerinage à La Mecque, visant donc une clientèle musulmane. Notre but, est de fournir tout services en matière de vols, d’hébergement, visas, ainsi que de conseiller nos clients en organisant leur voyage de la meilleure façon possible.

Quels genre de circuits proposez-vous ?

Nous essayons de définir avec les futurs pèlerins ce qui leur convient le mieux, par rapport à leurs moyens financiers et leur choix et préférences. Ensemble nous établissons un devis qui leur permet de faire un constat sur l’ensemble de l’offre et d’avoir une idée sur la somme totale.

Nos prix pour Omra en groupe, varient de 800 euros à 1550 euros environ par adulte pour 7-10 jours dans des chambres partagées, et de 1150 euros à 2100 euros pour les départs individuels. Les tarifs varient selon la saison, les disponibilités des compagnies aériennes et du type d’hébergement.
Généralement pour les groupes, il s’agit d’un circuit quelques jours partagés entre la Mecque et Médine, avec visites et guide.

Concernant le Hajj, nous avons des offres de 2850 euros pour la durée la plus courte, c’est-à-dire que les pèlerins effectueront juste les rites obligatoires, et des offres de 4200 euros à 5300 euros pour une durée de trois semaines environs, avec hôtels 5 étoiles.

Bien qu’ils soient très peu chers, nous évitons de proposer les hébergements catégorisés 2-3 étoiles car les standards locaux des hôtels au niveau de l’hygiène ne correspondent absolument pas à ceux de l’hôtellerie européenne. Si les personnes insistent, nous les vendons très rarement à condition qu’une attestation soit signée, mentionnant qu’ils ont été clairement avertis de l’état des logements et qu’aucune plainte ne sera acceptée.

On assiste à la hausse du prix du pèlerinage chaque année, pouvez-vous l’expliquer ?

Il se trouve qu’il y a beaucoup de travaux depuis quelques années, particulièrement dans la ville de la Mecque. Des immeubles destinés à l’hébergement des pèlerins sont détruits pour être remplacés par d’autres. Il y a également des travaux dans la Mosquée même ce qui fait que moins de pèlerins peuvent être accueillis. Pour compenser leurs pertes, les fournisseurs ajustent les prix.

Récemment, des chaînes d’hôtels prestigieux comme Fairmont, ou encore Raffles ont ouvert des établissements juste en face de la Sainte Mosquée. Ils se trouvent être pleins en saison haute, occupés par des pèlerins en provenance des pays occidentaux. Ces musulmans justement sont habitués à un certain niveau de vie et portent leur choix sur le luxe, par souci de confort et d’aisance… Nous voyons régulièrement certains frères et sœurs se plaindre du prix tout en choisissant intentionnellement ce qui est cher et luxueux, alors que des milliers de Pèlerins Indiens, Africains et Asiatiques logent dans des dortoirs, des immeubles d’habitats temporaire ou encore dans des hôtels d’appartements non classifiés, mais distants de 2 à 7 KM de la Mosquée et proposant des navettes. Dans leur vision, ces logements sont tout à fait acceptables et ils ne rapportent aucune augmentation significative des prix.

Au final, nous pouvons dire que ni le Hajj ni l’Omra ne sont tarifiés et vendus comme tels, au même titre que les cinq prières ne peuvent être vendues. Ce que nous offrons, ce sont les moyens pour séjourner sur un territoire en continuelle expansion et effectuer des rites religieux obligatoires en essayant de contenter chacun de ces multiples profils.

Comment se passent vos partenariats sur place ?

Nos responsables commerciaux se rendent sur place chaque années afin d’établir des relations avec des fournisseurs de bonne réputation, ainsi qu’avec la compagnie de transport. Ils négocient également des tarifs préférentiels avec les hôtels qu’ils visitent.

Quelles difficultés générales rencontrez-vous, vu la politique particulière du gouvernement saoudien ?

L’Arabie Saoudite étant une Monarchie, il n’est donc pas étonnant que les autorités prennent quelques fois subitement des décisions ou émettent de façon arbitraire de nouvelles procédures sans nous avertir au préalable [c.f la restriction de visas ].

Les agences de voyage spécialisées dans le hajj ont souvent la réputation d’arnaquer leurs clients, de leur proposer des prestations inférieures au prix, qu’en pensez-vous ?

Il y a malheureusement un certains nombre d’escrocs qui sévissent chaque année, des agences fantômes, et chaque année nous émettons les même avertissements. Pour beaucoup, le Hajj est le voyage de leur vie : entre émotions et méconnaissance du milieu, on voit des clients remettre leur argent et papiers aux mains d’inconnus sans s’assurer de quoi que ce soit ni demander une facture. Au pire, ces individus ne partiront jamais et au mieux se retrouveront par exemple à 6 dans une chambre au lieu de 4, car leur autoproclamé chef de groupe ne leur a pas expliqué les détails du contrat qu’il a conclu avec l’agence principale qui est, elle, agréée.

Il faut également reconnaître que certains Pèlerins ne comprennent pas qu’en optant pour une offre de luxe les difficultés comme la bousculade, les retards de bus dus au bouchons et à la foule seront inexistants. C’est un fait : le Hajj ne serait plus un Hajj s’il devenait similaire à des vacances à Dubaï ! Il faut comprendre que l’Arabie Saoudite, tout comme les pays du Maghreb et les pays en voie de développement ne peuvent pas nous donner tous les avantages de services européens, que les mentalités sont différentes, et que le laxisme dans certains domaines est normalisé dans leurs habitudes. Les agents puis les chefs de groupe ont une tâche difficile : il faut faire preuve de patience et s’adapter, gérer des profils différents, les conflits et l’organisation sur place avec des bonnes et mauvaises surprises.

Nous estimons que des sites internet comme SOS Pèlerins, association qui a décidé de défendre les droits des Pèlerins lésés, publient les mauvaises expériences de personnes sur leur simple témoignage, et classifient alors les agences dans une liste noire sans preuves ni enquête préalable, à savoir se renseigner auprès de l’agence en question. Ces faits amènent le doute général sur tout le marché, même lorsque les procédures sont faites correctement.

Pour finir, quels avantages trouvez-vous dans votre métier ?

Les relations humaines, l’enthousiasme de frères et sœurs sincères et courtois, la possibilité de gagner son salaire d’une façon licite et par ce moyen participer au bonheur de certains.

Propos recueillis par Lila