Article écrit par Shakeel SIDDIQ, expert en sîra, professeur de sciences islamiques, rédacteur AHLY MAGAZINE
La confiance en Dieu ou en soi ?
« C’est en Dieu que les croyants doivent placer leur confiance » (Coran 14/11).
La vision croyante
Le Prophète (sws) enseigne au musulman qu’il doit faire « intégralement » confiance à Dieu s’il souhaite réussir dans ce monde, puis dans l’autre. Il offre ainsi une « clé » dont seul le croyant à la foi bien ancrée sait qu’elle doit nécessairement être utilisée pour ouvrir les bonnes portes. La « confiance totale » en Dieu est une sorte de « révolution » quant à la manière d’interagir avec le monde qui nous entoure. Ce concept de vie révélé par Dieu a également été inculqué aux Prophètes et aux croyants qui nous ont précédés. Jacob dira à ses fils, partis en Égypte pour s’approvisionner en grains (à cause de la disette) : « Je ne puis cependant vous être d’aucun secours contre la volonté de Dieu, car c’est de Lui que relève toute décision. Je mets donc ma confiance en Lui, et c’est en Lui que ceux qui se résignent mettent leur confiance » (Coran 12/67). La « confiance absolue » en Dieu est un pilier de la spiritualité. Cette valeur refuge permet de maintenir une bonne santé morale et même mentale à bien y réfléchir. Malheureusement, ce concept est mal compris par beaucoup de musulmans car ils ont évolué dans un monde très matériel où la raison domine et non le cœur. Pour comprendre, il est donc nécessaire de faire un effort important et de laisser la réflexion dépasser le niveau de la tête (l’intellect). Seul le cœur guidé par Dieu peut saisir la réalité de ce concept coranique.
À La Mecque, face à l’adversité, alors que les croyants étaient persécutés et qu’il semblait n’y avoir aucune issue, le Prophète (sws) invoquait patiemment son Seigneur. Dieu avait promis son aide aux croyants, mais sous certaines conditions : ils devaient se montrer obéissants, patients, persévérants et invoquer leur Seigneur avec sincérité. Plusieurs passages du Coran évoquent ces conditions. Dieu dit : « Que de fois n’a-t-on pas vu un petit groupe triompher d’une grande armée, par la grâce du Seigneur, car Dieu est avec ceux qui savent s’armer de patience ! » (Coran 2/249). Par le biais de la révélation, Dieu rappelait aux croyants qu’Il était Le plus grand, Le plus fort, qu’Il avait créé les cieux, la terre, le monde, l’Homme, etc. Dieu n’était-Il pas capable de mettre fin aux supplices infligés par les idolâtres ? Dieu dit : « Si Dieu vient à votre secours, nul ne pourra vous vaincre ; et s’Il vous abandonne, qui donc, en dehors de Lui, pourra vous secourir ? Que les croyants mettent donc leur confiance en leur Seigneur ! » (Coran 3/160). Pour ancrer cette conviction dans les cœurs et avancer concrètement sur un plan spirituel, il était nécessaire de passer par l’épreuve. En patientant, en obéissant et en invoquant Dieu, les croyants avaient prouvé qu’ils ne comptaient que sur Lui. Lorsqu’Il estima qu’ils avaient assez été éprouvés, Dieu vint à leur secours. En réalité, Dieu est toujours proche de Ses créatures, c’est l’Homme qui s’obstine à s’éloigner de Lui (en ne comptant que sur sa petite personne). Dieu dit : « Si Mes serviteurs t’interrogent à Mon sujet, qu’ils sachent que Je suis tout près d’eux, toujours disposé à exaucer les vœux de celui qui M’invoque. Qu’ils répondent donc à Mon appel et qu’ils aient foi en Moi, afin qu’ils soient guidés vers la Voie du salut » (Coran 2/186).
On pourrait objecter : oui, mais le Prophète (sws) a envoyé des musulmans en Abyssinie pour créer une base arrière au cas où les choses tourneraient mal à La Mecque. Il a donc provoqué des causes (asbâb) en attente de conséquences. C’est vrai, mais le Prophète (sws) n’adorait pas ces causes et ne comptait pas sur elles, il adorait Dieu et ne comptait que sur Lui. Il lui faisait confiance et acceptait son destin, qu’il soit bon ou mauvais. Le Messager de Dieu (sws) plantait des graines, tout en laissant Dieu décider de son avenir. Que des fruits tombent ou non, il était satisfait face au décret divin. Finalement, l’islam ne prendra pas son essor en Abyssinie, mais à Médine, ville choisie par Dieu car c’est Lui qui guidera à l’islam six médinois en l’an 11 de la révélation et Seul Dieu guide. Le Prophète (sws) quittera donc La Mecque pour se rendre à Médine et non en Abyssinie.
Avoir Dieu avec soi, c’est réussir
Selon les apparences, le Prophète (sws) n’a aucun atout pour réussir dans sa mission (transmettre le message de Dieu à l’humanité) : il n’est jamais allé à l’école, il ne sait ni lire ni écrire, il est orphelin (donc fragile socialement), il n’est pas riche, il n’est pas puissant, il n’est ni un chef militaire ni un politicien, etc. Il ne fait donc aucun doute que s’il a réussi, c’est grâce à Dieu. Il a bénéficié de Son aide, mais en respectant scrupuleusement Ses directives (révélées par le Coran). Le Messager de Dieu (sws) savait que sa mission serait périlleuse. Il ignorait totalement comment il pourrait instaurer le monothéisme dans une cité où 360 idoles étaient adorées depuis des siècles. Le Prophète (sws) apprit très vite qu’avec Dieu, rien n’était impossible et que Son Seigneur allait lui venir en aide comme il était venu en aide à Moïse lorsqu’il avait dû faire face au plus grand tyran de son époque, Pharaon. Dieu aida son Bien-aimé de multiples façons, comme en envoyant des anges, sujet qui n’est pas pris au sérieux par certains musulmans rongés par le mal de la pensée matérielle et rationnelle (puisque seule la provocation des causes ‘asbâb’ compte). Dieu dit pourtant : « Dieu vous a bien donné la victoire lorsque tu disais aux croyants : ‘Ne vous suffit-il pas que votre Seigneur vous fasse descendre en aide trois milliers d’Anges ?’ Mais oui ! Si vous êtes endurants et pieux, et qu’ils [les ennemis] vous assaillent immédiatement, votre Seigneur vous enverra en renfort cinq mille Anges marqués distinctement. » (Coran 3/124 et 125).
A la Mecque, on trouvait aussi un notable du nom d’Abû al-Hakam (père de la sagesse), un homme riche et puissant qui était connu pour être sage et intelligent. Il était un guerrier qui ne redoutait personne et était très influent politiquement, puisqu’il était le chef des Banî Makhdhûm, clan le plus puissant de la Mecque. Il pensait mettre fin aux jours du Prophète (sws) grâce à sa ruse. Il était rongé par ce que Dieu appelle l’autosuffisance (istighnâ) : « Et pourtant c’est cet homme-là qui devient rebelle, dès qu’il se sent en mesure de se suffire à lui-même, comme si tout n’était pas destiné à faire retour à ton Seigneur ! » (Coran 96/6 à 8). Ce personnage état tellement éloigné de Dieu que les musulmans l’avaient surnommé Abû Jahl (le père de l’ignorance). Un jour, il voulut inciter les Mecquois à tuer le Prophète (sws). Mais comme nous l’avons expliqué, c’est Dieu qui accompagnait et qui aidait Son Messager (sws) et les croyants. Les notables de la cité allaient en réalité, faire face à Dieu et Ses anges. C’est pourquoi Dieu dit : « Qu’il appelle alors les siens à son secours ! Nous ferons appel, à Notre tour, aux gardiens de l’Enfer. Prends donc garde ! N’écoute pas cet impie ! Mais prosterne-toi devant ton Seigneur et rapproche-toi de Lui ! » (Coran 96/17 à 19). Dieu invitait Son Messager à persévérer dans l’adoration, surtout à travers la prière (la prosternation). D’ailleurs, les prières de nuit étaient obligatoires pour le Prophète (sws) et ses compagnons durant les premières années de la révélation. Si le musulman veut être assisté par Dieu et être protégé par Ses anges, alors il doit se tourner vers Lui en priant, en L’invoquant, en patientant, en obéissant et en persévérant. Faisons donc comme les premiers croyants, lisons et pratiquons le Coran. Les choses sont si simples sur un plan théorique, mais si difficile à réaliser. Comment faire ? Brisons notre orgueil et invoquons Dieu pour qu’Il nous guide. Prosternons-nous et rapprochons-nous de Lui.
Je ne dis pas qu’il ne faut pas avoir confiance en soi. Je dis qu’il faut avoir confiance en Dieu pour devenir fort et par conséquent, faire naître en soi le sentiment de confiance, sentiment mélangé au spirituel et construit sur la base d’une foi comprise (théorie) et expérimentée (pratique). La nuance est importante. Lorsque la « compréhension » rencontre l’ « expérimentation », alors naît l’« illumination » qui apporte un changement réel au niveau du coeur. C’est la continuité et la persévérance, au niveau de l’expérimentation, qui fait que le bon caractère et la bonne vision s’établissent et que la foi s’ancre. Le cœur commence alors à devenir sain et l’âme sereine. Développer la confiance en soi, en mettant les textes (révélés) de côté, peut mener à un excès et à des dérives (comme l’autosuffisance). Attendre que Dieu intervienne, alors qu’on est dans la désobéissance et qu’on ne fait rien pour que les choses évoluent est aussi un extrême. Le juste milieu se trouve dans l’exemple prophétique que j’ai tenté d’expliquer dans les lignes précédentes. Difficile donc d’avoir confiance en soi sans avoir confiance en Dieu et sans accepter son destin, qu’il soit bon ou mauvais. Difficile donc d’arriver à une réelle confiance du soi en coupant les liens avec le divin. Pour avancer, peut-être est-il nécessaire de prendre du recul, de se remettre en question et de méditer ? Et si on commençait par ouvrir le Coran pour voir comment ça se passe !
Article tiré du numéro 15 d’Ahly Magazine, dont le thème du dossier est « Osez le changement ».
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