Oeuvrer pour l’Islam : le prix de l’engagement

Par Marwan Muhammad auteur de Foul Express

On ne se lève pas le matin en se disant : « Tiens, aujourd’hui, si j’allais me faire une petite conférence sur l’islamophobie pour me détendre ?»  Ni : « Vraiment ya rien à la télé, chérie je m’ennuie je vais aller dénoncer l’industrie du faux halal ! » Ni même : « Ah je me sens d’humeur à aller collecter de l’argent pour les miséreux du Pakistan, ça me mettra en appétit… »

Pourtant on le fait. Parce que quelqu’un doit bien le faire. Parce qu’ordonner le bien et interdire le blâmable est une responsabilité morale qui pèse sur l’ensemble des musulmans et qu’il faut que parmi nous, des hommes et des femmes se lèvent pour essayer d’être à la hauteur d’un tel enjeu.

Cet engagement a un prix. Lourd à payer.

Sans arriver à l’ombre de la poussière qui effleure leurs semelles, il peut être utile à toute personne qui s’engage de regarder l’exemple des compagnons du Prophète (asws) et celui des grands hommes et femmes qui ont fait l’histoire de l’islam. Beaucoup ont été jugés durement par certains de leurs contemporains. Beaucoup ont été torturés, emprisonnés, tués. Tous ont accepté la responsabilité qui était la leur et ont fait preuve de courage et d’endurance dans leur engagement.

Aujourd’hui, le genre d’épreuves auxquelles on doit faire face n’a rien à voir en termes de gravité. Pourtant, nos petits cœurs n’y sont pas préparés et se retrouvent souvent en miettes dès que la tempête gronde.

De fait, certains engagements convoquent des ennemis :

Etre celui qui dénonce la logique mercantile du marché du halal en mettant en évidence manquements et petits arrangements ne plait (forcément) pas aux grands acteurs du secteur. On taira ici les petites réjouissances auxquelles une telle inimitié mène une fois que les caméras ont fini de tourner et que les écrans sont éteints.

Etre la juriste qui, chaque jour, patiemment, assiste les mamans discriminées parce qu’elles portent le foulard tout en ayant à faire face à l’hostilité de certains pouvoirs publics n’est pas une sinécure. Et il faut trouver ensuite l’insondable courage de consoler et de rassurer les victimes.

Etre celui qui a la charge, dans la plus grande discrétion, de convaincre les banques et les acteurs du secteur financier de changer leur façon de procéder pour une économie plus juste, tout en étant traité de suppôt de la finance mondialisée par ceux dont on essaie d’améliorer la situation, c’est dur.

Mais bon… on a tous accepté de payer ce prix le jour où on s’est engagé au CCIF, à AIDIMM, au SPMF ou dans d’autres associations.

Ce pour quoi on n’avait pas signé c’est le reste :

Les frères qui te menacent de mort pour avoir risqué de remettre en cause leur business, ceux qui t’envoient des SMS empoisonnés le jour de l’aïd et passent leur temps à salir ton honneur en ton absence, ceux qui pensent que tu fais tout ça pour la gloire alors qu’ils n’ont pas la moindre idée des sacrifices que tu concèdes, ceux qui t’appellent pour te dire que « tel frère va pas super, ce serait bien que tu l’appelles » sans se douter une seconde que tu es au fond d’un abîme de tristesse, ceux qui te font un discours sur « ce qu’il faudrait faire » tout en étant incapables de tenir le moindre engagement, ceux qui t’excluent de l’islam le jour où tu as dit aux gens de prendre leur carte d’électeur, tout en vivant eux-mêmes des allocations que leur verse l’état, ceux qui demandent aux sœurs de ne pas porter plainte quand elles sont victimes d’agression, tout en restant dans l’inaction et l’indignation de leur clavier, ceux qui disent que la France n’est pas un pays où les musulmans devraient rester, tout en étant incapables de prendre un billet d’avion pour la quitter.

Les sœurs qui te demandent de faire quelque chose pour elles, mais se plaignent quand même après, quoi que tu aies fait, celles qui lancent des flèches au cœur de ton épouse, juste parce que tu as mis vis-à-vis d’elles une distance en expliquant que tu es marié, celles qui t’appellent pour trouver un appartement, un job, un mari, se vexant si tu te risques à un « je ne sais pas ma sœur et je ne suis pas sûr d’être la bonne personne pour te répondre », celles qui te demandent, en marge d’une conférence, ce que tu penses de la sorcellerie où si c’est valide de mettre une perruque sur leur hijab, celles qui se disent entre elles que tu as « chopé la grosse tête » le jour où tu t’es excusé en disant que tu n’as pas le temps…

Bref, tout cela (et bien d’autres choses encore) fait partie de notre communauté et c’est, malheureusement, une réalité à laquelle toute personne engagée doit faire face, à un moment ou à un autre et à des degrés différents. Le plus triste, c’est que beaucoup des frères et sœurs qui t’infligent ce genre de traitements sont de bonne foi, pensent bien faire et ne se rendent même pas compte du tort qu’ils te causent.

Pourtant le soir quand la lumière est éteinte, seul Dieu sait le nombre de nœuds dans lesquels est empêtré ton cœur, seul Lui peut l’apaiser et t’envoyer, comme une petite lueur d’espoir, des frères et des sœurs qui te montrent que tu n’es pas seul et qu’au-delà de tous ces obstacles, peu importent les épreuves que tu rencontres, il y a un sens à l’action que tu fais pour Lui plaire et te rapprocher de Lui. La Justice n’est pas un vain mot. Et effectivement, elle a un prix.

Je ne suis personnellement qu’un enfant dans l’engagement, mais j’ai pu voir durant les dernières années toutes sortes de comportements, et je ne garde dans mon cœur, al hamdulillah, que le courage et la constance admirable des frères et sœurs qui, à chaque fois qu’on leur tire dessus ou qu’on leur fait des louanges, se tournent vers Dieu et disent :

« Ô Allah pardonne-moi pour ce qu’ils ne savent pas (de moi) et ne me tient pas rigueur de ce qu’ils disent de moi. Certes Tu sais et ils ne savent pas. »

Donc qu’est ce qu’on fait ?

D’abord on purifie ses intentions. On s’entoure de savants capables de nous répondre de manière claire et contextuelle quand on a une question d’ordre religieux (et pas untel, mufti autodidacte, qui a lu dans un livre que tel sheikh avait dit qu’il semblerait que…). Ensuite on avance, de manière calme et déterminée, en faisant preuve d’humilité et en étant conscients que nos réussites ne viennent que de la bienveillance de Dieu. Wal hamdulillah.

By Younes

13 thoughts on “Oeuvrer pour l’Islam : le prix de l’engagement”
  1. Barak ALLAHu fik pour cette jolie confession, que Dieu vous préserve de tous ces maux et vous donne l’apaisement dans votre coeur, ainsi qu’à tous les frères et soeurs engagés se voyant maltraité de la sorte au quotidien !! Ya Allah, tu es le Juste.

  2. As salam alaykum,

    Qu’Allah Taala bénisse vos oeuvres, rafermisse vos pas et unisse la ummah. Emin

    On ne s’imagine pas a quel point ce que vous faites n’est pas évident, pourtant ce qui est évident, c’est que la ummah en tire profit. Qu’Allah 3azawajal vous récompense. Emin

  3. salam,
    Merci pour ce rappel Incha Allah.
    En effet les actes ne valent que par leurs intentions premières et sincères et seul notre seigneur bienveillant nous facilitera dans nos actions au quotidien ici bas Incha Allah. Allah Akbar!!!

  4. As salâm ‘aleykum,

    Qu’Allah préserve ceux qui s’engagent pour la oumma et les récompense de la meilleure des manières. Amine.

    Très beau texte.

  5. Maacha Allah!
    Baarakallaahou fiik d’avoir mis des mots sur les pensées de bcp d’entre nous!
    Qu’Allah facilite et accepte l’engagement de ceux qui s’engagent dans le diine
    Qu’Allah les protége de la jalousie des jaloux, de la méchanceté des méchants, de l’inculture des incultes, de la médiocrité des médiocres et de l’ignorance des ignorants!

  6. Salam oualeykoum, je suis un peu « déçue » de lire ceci, déçue d’apprendre que l’on puisse dire que tu as pris la grosse tête ( si c’est bien de toi que tu parles ). Je sais bien que tu n’hésites pas à te poser deux minutes juste pour savoir si tout va bien.

    Qu’Allah facilite toutes celles et ceux qui partage de leur temps pour aider les autres, et qu’Il les protège de la jalousie d’autrui

  7. Wa alaikum essalaam,

    Merci à tous de vos commentaires. Pas de panique, je n’ai pas personnellement vécu TOUS ces moments difficiles (même si j’ai eu ma part 🙂 ) mais je mets ici en évidence des dynamiques tristement présentes dans notre communauté.

    Ce qu’il faut retenir, c’est surtout l’approche constructive qu’on doit avoir et l’effort de sincérité qui doit primer. Je peux confier personnellement que c’est un combat de chaque instant. Tout cela doit être complété par un encadrement religieux solide pour éviter le risque de graves dérives. Enfin, respecter tous ceux qui s’engagent, même si on peut avoir des divergences de points de vue sur les modes d’engagement.

    Barak Allahufikum et amine pour vos du’as!!!

    Wassalaam

  8. Salam ‘alaykom

    Je demande à Allah de nous pardonner et d’améliorer d’avantage nos oeuvres et de les orienter uniquement vers Lui.
    Je demande, aussi, pardon à tous ces Musulmans engagé auxquels nous avons fais du tort.

    Marwan, merci pour ce « WakeUp » des mentalités. ^^

    Qu’Allah raffermisse ton coeur et le notre, et qu’Il fasse que ton engagement t’ouvre les portes de Sa satisfaction. 😉

  9. Salam aleykoum,

    Etant moi même engagée dans certaines causes pour la Oumma, je ne peux que me reconnaitre dans vos écrits , particulièrement cette phrase :
     »
    Pourtant le soir quand la lumière est éteinte, seul Dieu sait le nombre de nœuds dans lesquels est empêtré ton cœur, seul Lui peut l’apaiser et t’envoyer, comme une petite lueur d’espoir, des frères et des sœurs qui te montrent que tu n’es pas seul et qu’au-delà de tous ces obstacles, peu importent les épreuves que tu rencontres, il y a un sens à l’action que tu fais pour Lui plaire et te rapprocher de Lui. La Justice n’est pas un vain mot. Et effectivement, elle a un prix. »

  10. Assalam aleykum

    Ce que vous décrivez ne me semble pas spécifique à notre communauté ou à l’engagement islamique dont vous faites preuve. A ce titre, je ne pense pas que la comparaison avec les compagnons du prophète soient tout à fait adéquate, non pas pour une question de niveau ou de piété, mais en raison de données contextuelles fondamentalement différentes.

    En revanche, il me semble, je n’ai pas de source pour l’appuyer mais c’est mon ressenti, il me semble que les phénomènes dont vous parlez sont typiques du milieu associatif. Ca serait intéressant de savoir comment les gents perçoivent une association car j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de décalages sur la question.

  11. Assalamu aleykoum

    Ça fait du bien de relire ça.
    On devrait l’accrocher dans les locaux de toutes les asso’ musulmanes, tout comme les entrepreneurs devraient tous avoir affiché et intégré la « charte de l’entrepreneur musulman » -)

    Kheir.

    qu’Allah facilite!!!

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